Culture

Décrétée en 2002 par le premier ministre israélien, la construction du mur qui sépare Israël de la Cisjordanie est terminée. Crédit : Juliette Diallo

Accès libre au confinement

En franchissant les portes du Musée des arts interculturels de Montréal, il est immédiatement possible de ressentir l’atmosphère anxiogène et pesante de l’exposition Driving in Palestine. Pourtant, Rehab Nazzal confie à Quartier Libre que le confinement imposé par les gouvernements durant la pandémie de Covid-19 lui a donné l’idée d’exposer ce que le peuple palestinien vit au quotidien depuis des années.

A travers une série de photographies, vidéos, sons et impressions, la photographe expose les fragments de son expérience de vie. L’exposition met en lumière les infrastructures qui «perpétuent l’oppression constante subie par les Palestiniens». Une réalité capturée par l’artiste depuis la plage avant d’une voiture. e temps d’un long voyage sur les routes périlleuses de la Cisjordanie occupée.

UNE EXPOSITION ÉTOUFFANTE

Vendredi 8 septembre 2023, Quartier Libre s’est rendu au vernissage de l’exposition de Mme Nazzal. Pour l’occasion, et avant d’ouvrir les portes de Driving in Palestine, l’artiste présente Vibrations from Gaza, un court-métrage réalisé en parallèle de l’exposition. Celui-ci présente la réalité des enfants de Gaza nés sourds, une perspective touchante et peu représentée. Tandis que le public présent lui fait une ovation, les lumières se rallument sur la salle comble,  et les personnes présentes tentent de dissimuler l’émotion à laquelle elles ont allègrement cédé. Les portes, jusqu’ici closes, d’une autre salle s’ouvrent, l’exposition se dévoile. 

Photographies des tours de contrôle israéliennes en territoire palestinien occupé. Crédit : Juliette Diallo

À travers Driving in Palestine, fruit du travail d’une décennie, l’artiste dénonce les restrictions de mouvement et la surveillance, poussées à leur paroxysme et imposées aux Palestinien·ne·s sur leur territoire par les autorités israéliennes. Barrages routiers, bruit de drones, tours de contrôle, barbelés et panneaux d’interdictions, etc. D’innombrables symboles qui rendent compte d’une ambiance étouffante.

 

Un écran diffuse en continu des photographies de panneaux de signalisation présents sur place. «Cette route mène à un village palestinien, l’entrée y est dangereuse pour tout citoyen israélien», indique l’un eux. Divers plans filmés depuis l’intérieur d’une voiture en mouvement à Jérusalem-Ouest sont projetés au centre de la salle. Sur le mur gauche de la pièce, une série d’une cinquantaine de photographies présente les tours de contrôle.

Mme Nazzal déplore la difficulté de produire ces images, particulièrement aux points de contrôle israéliens. Pour cause, ces zones sont dangereuses. «Beaucoup de gens perdent la vie au passage de ces points de contrôle, mentionne-t-elle. Pour eux, une caméra est une arme. Un sniper m’a tiré dans la jambe en 2014, juste parce que je prenais une photo. J’étais seule.» Un bruit assourdissant de drone diffusé dans la pièce finit par chasser le public vers une zone cachée de tranquillité. Celui-ci est amené à regarder une courte vidéo intitulée Healing Moments. Commence alors un court-métrage présentant des paysages palestiniens à perte de vue, accompagnés de sons de la nature et de moments de paix. D’après l’artiste, cette zone offre «une perspective authentique et rafraîchissante de la Palestine, telle qu’elle devrait l’être, sans crime ni conflit

L’ART COMME EXPRESSION DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE

L’activisme de Mme Nazzal contre «l’oppression israélienne» a toujours fait partie intégrante de son quotidien. «Je suis née en étant un sujet politique, c’est comme ça que j’ai grandi, explique-t-elle. Pendant 75 ans, j’ai été confinée en prison. La violence coloniale a formé ma vie et ma mémoire. Mon travail reflète mon expérienceLa photographe se définit d’ailleurs comme étant, avant tout, militante. «L’art occupe une fonction indéniablement politique, poursuit-elle. Il permet de questionner les notions de droits humains, de droits gouvernementaux, d’apartheid, de ségrégation et de racisme.» Mme Nazzal démontre ainsi l’importance de son activisme dans son art en tant que moyen d’expression et de critique face aux influences coloniales, celles-ci étant «considérablement présentes» dans son quotidien. 

De la plage avant d’une voiture, Rehab Nazzal a photographié le paysage Cisjordanien.

La professeure agrégée au Département d’histoire de l’Université de Montréal  Dyala Hamzah confirme ces propos. Pour la chercheuse, l’art fait partie intégrante des différentes formes d’action politique pour lutter contre cette emprise coloniale et s’en affranchir. «La seule émancipation possible de l’emprise coloniale, c’est son démantèlement, affirme-t-elle. C’est le triomphe de la justice et du droit, et la fin de l’impunité israélienne au regard de ses crimes. Et tout ce qui contribue à ce démantèlement, que ce soit par des actes de résistance au sens propre sur le terrain comme au sens symbolique, est un pas sur le long chemin de cette émancipation

INTERPELLER L’OCCIDENT

Bien que soutenue par le MAI et différentes influences artistiques dans ses démarches de projets artistiques engagés, Mme Nazzal a pourtant fait face, à de multiples reprises, à des menaces de la part de «groupes de pression sionistes». L’artiste affirme néanmoins se sentir totalement à l’aise de partager ses projets, puisque son art et son activisme vont de pair. «C’est ma manière de m’exprimer, et je suis déterminée face aux intimidations de l’opposition», déclare-t-elle.

Malgré ces risques de représailles, c’est pourtant bel et bien en Occident qu’une exposition telle que Driving in Palestine doit avoir lieu, selon Mme Hamzah. La professeure explique que c’est en commençant par sensibiliser l’opinion publique que changer les choses devient possible.

«C’est bien au public et aux pays occidentaux que cette exposition s’adresse avant tout, précise-t-elle. C’est contre la surdité des premiers et la complicité des seconds qu’elle diffuse cette bande-son bourdonnante de drones incessants et dresse ses miradors, telles des verrues d’une maladie honteuse appelée le déni de justice, que l’Occident, en vain, tente de cacher.»

Partager cet article