Culture

Aborder la maladie sous un autre angle

Le studio indépendant québécois de jeu vidéo Folklore Games vient de sortir son premier projet, Spiral. En vente depuis septembre dernier, ce jeu vidéo permet d’aborder autrement la dégénérescence cognitive.

Le jeu vidéo Spiral donne la possibilité de se mettre à la place de Bernard, un homme âgé d’une soixantaine d’années et seul personnage jouable du jeu. Ce protagoniste souffre de dégénérescence cognitive. Pendant environ huit heures, les joueur·euse·s ont l’occasion d’explorer toutes les phases de la vie du héros.

La maladie de Bernard est sous-entendue sans être explicitement abordée, mais ses effets se ressentent dans chaque aspect du jeu. À mesure que l’esprit du personnage s’efface, l’environnement de ce dernier s’effondre également. Les éléments commencent en effet à disparaître, tandis que le décor se dégrade lentement autour de lui.

D’une histoire familiale à un projet de sensibilisation

Fondé en 2012 par deux amis qui sont alors encore étudiants, puis laissé en berne, le studio de jeu vidéo Folklore Games est relancé en 2018. Il se compose désormais de quatre employés, dont la gestionnaire du projet, Jes Vaillancourt, et son frère Mikhaël.

Le sort de cette fratrie et du studio a pris un nouveau tournant à la suite d’un drame familial. « À cause d’une malheureuse coïncidence, notre grand-mère et deux de ses sœurs sont tombées malades et ont développé une forme de dégénérescence cognitive », explique Jes.

Pour Jes Vaillancourt, gestionnaire de projet au studio Folklore Games, l’idée était également d’immortaliser le souvenir de leur grand-mère et de ses sœurs. Courtoisie Folklore Games.

Comme le frère et la sœur savaient qu’il et elle allaient être indirectement touché·e·s par la maladie, il et elle ont eu l’idée de créer un projet abordant les thèmes de la dégénérescence. « C’est un sujet dont les gens ne parlent pas beaucoup, alors que la majorité de ceux que nous connaissons en souffrent, poursuit Jes. Nous avons donc décidé de raconter l’histoire de Bernard. »

Derrière Spiral, l’idée est donc d’ouvrir une conversation, un espace de parole, afin de faire connaître la maladie et ses conséquences sur les proches des victimes.

Selon le Rapport annuel 2022-2023 de la Société Alzheimer de Québec, près de 50 % des personnes atteintes d’un trouble cognitif, notamment la maladie d’Alzheimer, reçoivent leur diagnostic à un stade trop avancé.

En 2023, au Québec, plus de 170000 personnes étaient atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’un autre
trouble neurocognitif. La maladie d’Alzheimer représente 60 % des cas de troubles neurocognitifs.
Selon le rapport de la Société Alzheimer, les dépenses associées à la maladie d’Alzheimer et aux maladies neurodégénératives en général s’élèvent actuellement à 2 millions de dollars, un montant qui pourrait
s’élever à 123 milliards de dollars d’ici 2040.

Spiral est le résultat d’un travail de plusieurs mois de recherche, de défis et de rencontres pour comprendre la maladie et ses effets. « On a pris des notes [sur ce que vivait notre famille] et on a fait appel à notre vécu », précise Jes. Le jeu explore ainsi avec justesse les différentes phases de la vie de Bernard, comme un rappel de son passé révolu. Découvrir les souvenirs d’enfance du personnage, ceux liés à son premier chien et aux mots tendres de sa mère permet de prendre du recul sur ses propres souvenirs.


Pour Jes et son frère Mikhaël, l’idée était également d’immortaliser le souvenir de leur grand-mère et de ses sœurs. « Nous ne voulions pas les oublier, nous voulions partager leur mémoire, confie la gestionnaire du projet. À la fin du jeu, nous avons pu soupirer, c’est notre façon de les garder vivantes et de ne pas oublier leur histoire. J’en ai même pleuré… »

Selon le directeur principal des communications et des opérations de La Guilde du jeu vidéo du Québec, Émilien Roscanu, la création de jeux à thématiques sociales comme Spiral est un créneau d’avenir, qui doit être davantage exploré. Capture d’écran extraite du jeu.

Sensibiliser pour mieux en parler

« Aujourd’hui, les conséquences de la maladie sont encore peu connues, alors que le nom en lui-même, on l’a tous en tête », souligne l’étudiante de deuxième année en master de psychologie, parcours neuropsychologie clinique et prises en charge thérapeutique de l’enfant à l’adulte, à l’Université de Lille Emma Turmelle.

Plus qu’un simple jeu, Spiral est aussi un projet de sensibilisation et d’accompagnement pour les proches des victimes, une possibilité d’en apprendre davantage de façon ludique.

En huit heures en moyenne, le jeu permet de comprendre comment la maladie atteint la mémoire et les souvenirs. La désorientation, les difficultés de perception ou encore la perte de mémoire font ainsi partie des symptômes auxquels les joueur·euse·s sont confronté·e·s.


« Des jeux comme Spiral, il en faudrait plus, affirme Emma. Ça convient à ceux qui veulent en apprendre plus et à ceux qui ont besoin d’accompagnement. »

Jes se souvient d’ailleurs que lorsque l’équipe de Folklore Games a réalisé une série de conférences pour présenter le jeu, les plus beaux moments ont été ceux où les proches de victimes de troubles neurocognitifs sont venus les remercier.


Un pari osé dans une industrie en évolution

« Les jeux comme Spiral ont un bel avenir, ils permettent d’attirer un public différent, assure le directeur principal des communications et des opérations de La Guilde du jeu vidéo du Québec, Émilien Roscanu. Les jeux à thématiques sociales permettent aux gens de se reconnaître. C’est un créneau d’avenir, qui, selon moi, doit être davantage exploré. »

Développer des compétences uniques dans l’industrie, comme le fait Folklore Games avec Spiral, constitue d’ailleurs une occasion de se démarquer pour se faire une place face à ses concurrents. En effet, bien que l’industrie québécoise du jeu vidéo soit une vitrine pour la province, qui fait partie des cinq principaux centres de production au monde, la concurrence est rude pour les petits studios comme Folklore Games. Les 270 studios de production indépendants sur les 330 que dénombre la province ne totalisent ainsi que 3 000 à 4000 emplois sur les 15000 que compte le secteur*.


« La course au financement, c’est le nerf de la guerre, il y a beaucoup de concurrence, déclare M. Roscanu. Les studios ne facturent pas à l’avance et les cycles de production durent de deux à quatre ans avant de générer les premiers revenus. »

Selon lui, même si les crédits d’impôt que le gouvernement provincial consent aux entreprises du secteur sont intéressants aujourd’hui, ces derniers seront réduits à partir de 2025. « Cela va devenir de plus en plus difficile, alerte-t-il. Et avec le ralentissement économique post-pandémique, il y a de plus en plus de studios en compétition pour moins de financement disponible. »

En effet, l’industrie du jeu vidéo se prépare à être fortement touchée par les nouvelles mesures de redressement budgétaire. Les mesures fiscales accordées par le gouvernement, à savoir un crédit d’impôt remboursable maximal de 37,5 % sur les salaires, ont coûté près de 409 millions de dollars à Québec en 2023 et seront progressivement ajustées d’ici 2028. La portion remboursable, accordée même si un studio n’est pas imposable sera réduite à 27,5 %, selon le président de la Guilde du jeu vidéo du Québec, Christopher Chancey, dans des propos recueillis par La Presse.

L’équipe de Folklore Games espère donc que le public sera au rendez-vous pour Spiral, son nouveau jeu rempli de poésie.

*Selon le site Web de la Guilde du jeu vidéo du Québec.

Spiral est en vente depuis le 20 septembre dernier sur les plateformes Steam (PC) et Xbox (console). Une démo gratuite de 15 minutes de ce jeu est offerte. La version complète, d’une durée approximative de huit heures, est téléchargeable au prix de 33 $.

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