Une étude menée par une économiste américaine révèle que les femmes seraient plus heureuses à la maison qu’au travail. Cependant, plusieurs étudiantes et professeures à l’UdeM pensent que le bonheur se trouve plutôt entre la famille et la carrière. Selon elles, l’équilibre reste à privilégier.
«Plus que de répondre à un mythe, l’étude donne des éléments factuels et des statistiques dans ce débat», nuance le professeur adjoint en finance à HEC Pierre Chaigneau. Publiée en mai 2013 par la professeure en économie de l’Université de Chicago Marianne Bertrand dans la American Economic Review, l’étude remet en question l’idée reçue selon laquelle les femmes seraient plus heureuses en alliant famille et carrière réussie.
L’étude révèle que 47 % des femmes qui sont mères au foyer se déclarent très heureuses. Le pourcentage baisse à 43 % quand on regarde du côté de celles qui allient famille et carrière. Toutefois, Pierre Chaigneau invite à la prudence dans l’interprétation des résultats. « Elle ne met pas en lumière des relations de causalité, c’est plus des corrélations, explique le professeur adjoint. Il faut faire attention à ça, et Marianne Bertrand le spécifie dans son article.» L’auteure n’affirme donc pas qu’une femme au foyer est automatiquement plus heureuse que les autres.
Différent au Québec
L’ancienne secrétaire générale de la Fédération des associations des étudiants de l’UdeM (FAÉCUM) et maintenant conseillère politique au cabinet du ministre de l’Enseigne ment supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Stéphanie Tougas, pense que les résultats de l’étude sont à prendre avec des pincettes. «C’est une étude américaine, soutient-elle. Il y a des choses qui nous distinguent culturellement au Québec.» Celle qui est également étudiante à temps partiel en communication et politique cite en exemple les politiques d’emplois et les politiques familiales différentes. Mme Tougas croit aussi que les femmes doivent concilier leur vie de famille et leur carrière, et prend ses parents comme modèle. «Mon père et ma mère avaient une carrière, mais ils ont toujours trouvé le moyen d’équilibrer les deux », déclare l’étudiante. Pour être heureuse dans sa vie, elle affirme qu’elle va avoir besoin des deux. Sa chef de cabinet représente une inspiration pour l’étudiante en communication et politique. Sa supérieure s’occupe de ses quatre enfants et son mari à un poste similaire au sein du gouvernement.
La professeure agrégée au Départe – ment de philosophie de l’UdeM Ryoa Chung partage l’avis de Stéphanie Tougas concernant les politiques québécoises. «Le Canada est beaucoup plus avancé que les États-Unis en termes de politiques familiales, qui aident les travailleuses qui désirent une famille», affirme-t-elle. La professeure se souvient avoir eu du soutien familial et un horaire de travail flexible à la suite de son accouchement.
Difficile d’être heureuse
Mme Chung révèle qu’elle n’a jamais été aussi heureuse depuis la naissance de son enfant et se met dans la catégorie des femmes pour qui carrière et famille font bon ménage. Elle s’interroge tout de même sur la définition du bonheur de Marianne Bertrand. «Elle utilise des critères hédonistes et quantitatifs, critique-t-elle. Je ne pense pas que ça convienne pour décrire le sentiment de plénitude que je ressens.»
L’étude parle d’anxiété, de stress, de fatigue ou d’un sentiment de culpabilité, parce qu’une femme ne voit pas assez ses enfants. «Ce n’est pas juste des démons intérieurs, il y a des obstacles structurels », mentionne Ryoa Chung. Elle pense qu’il faut des politiques familiales équitables qui permettent aux femmes de combiner carrière et famille. Bien que le Québec soit plus avancé que les États-Unis, Ryoa Chung estime qu’être une femme avec un bébé en milieu universitaire peut tout de même nuire à l’obtention d’une permanence ou d’un poste de professeur titulaire.
Mme Chung affirme néanmoins que l’étude s’adresse à des femmes en situation de pouvoir. «Quand je me compare avec les moins privilégiées, je remarque que c’est plus facile pour moi», reconnaît-elle. L’étudiante à la maîtrise en musique et au baccalauréat en enseignement secondaire, Jennifer Lachaîne, assure que la situation des musiciens est assez précaire. «Le milieu de la musique n’est pas facilement conciliable avec la famille, dit-elle.
Ce sont des horaires de fou et le revenu est instable.» Elle explique qu’il est difficile pour un musicien de savoir quand il va jouer, quand vont arriver les projets, ainsi que l’argent gagné. L’étudiante veut elle-même devenir enseignante, en plus de continuer à jouer du saxophone classique. « Enseigner est un métier qui peut amener plus de stabilité à son enfant », justifie-t-elle.
Elle s’avoue surprise des résultats de l’étude. « J’aurais pensé que ce serait le contraire, admet-elle. Avec le féminisme, les femmes ont tellement milité pour ne pas être confinées à la maison.» Elle pense que, dans la situation actuelle, les femmes veulent s’accomplir à la fois à la maison et au travail. Elle admet cependant que la société renvoie l’image d’une femme forte, capable de concilier vie professionnelle et personnelle, dans laquelle il est parfois difficile de se retrouver.