Le poète Sebastián Ibarra Gutiérrez, détenteur d’un doctorat en génie des mines de l’Université Laval, connaît bien l’industrie de l’extraction minière. Les ravages que celle-ci a infligés en Amérique latine sont d’ailleurs abondamment documentés. «La pauvreté de l’homme comme conséquence de la richesse de la terre» : telle était la formule de l’auteur uruguayen Eduardo Galeano pour résumer l’histoire du pillage suivant l’arrivée de Christophe Colomb, dans Les veines ouvertes de l’Amérique latine, essai publié en 1971.
Or, pour M. Ibarra Gutiérrez, originaire de Coquimbo, au Chili, «il y avait quelqu’un avant» et «il y avait quelque chose avant» sur le continent. Les deux parties du court recueil À terre ouverte s’amorcent avec ces deux phrases. L’œuvre est ainsi tournée vers ce passé enseveli et vise à le faire revivre : «je veux reconstruire chacune des naissances / que nous n’avons pas eues / oui je renonce à mes jours prématurés / me dessaisis de cette fosse en calcium / me relève entre les particules détritiques».
Le poète comme porte-voix
Dans les trous creusés à même le continent américain et sa mémoire, des voix résonnent à l’oreille de qui sait les entendre. Ce sont celles, entre autres, des résistant·e·s : «tant de mercenaires pour étouffer nos rébellions tant / d’insurrections désamorcées à coup de fusil». Le poète reproduit leur écho dans son recueil.
Parfois, il le fait à travers des redondances dans les images d’ordre géologique qu’il propose : certaines d’entre elles auraient pu être retravaillées ou approfondies.
Il faut cependant donner à l’auteur le mérite de ne pas avoir cherché à emberlificoter inutilement une parole importante. Dans l’ensemble, sa voix continentale, qui évoque le Cerro Rico bolivien, le sertão brésilien ou la llaqta inca, sonne juste quand elle accuse à répétition un «vous» au sens large : «vous encore / vous le pouvoir / vous vos silhouettes irrégulières / derrière mes yeux la douleur c’est vous / sans cesse vous / il n’y a pas assez de pierres pour vous dénoncer».
Et cette voix réussit, sans s’enfarger dans les fleurs du tapis, à témoigner d’une richesse territoriale mise à mal par le calcul mercantile : «honte à vous qui avez teint en graphite / les bofedals l’immensité de la puna / chacune de mes couleurs délicates».
Le problème, c’est que l’histoire se répète, comme le faisait remarquer M. Ibarra Gutiérrez au micro de Première heure le 24 janvier dernier[1]. Ainsi, encore aujourd’hui, certaines compagnies minières canadiennes sont au cœur de tensions les opposant à des communautés locales en Amérique latine[2]. Difficile alors d’éviter que les mots ne deviennent éculés, quand ils décrivent des réalités qui demeurent : «j’insiste sur le témoignage de nos silences marginaux / atteste les violences contre nos entrailles / maintes fois énumérées».
À terre ouverte de Sebastián Ibarra Gutiérrez. Éditions Hamac, Montréal, 2023, 75 p.
[1] https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/premiere-heure/segments/entrevue/430012/hamac-poete-chilien-quebecois
[2] https://www.cdhal.org/ressources/exploitation-miniere-et-droits-humains/