Volume 21

À la pêche aux déchets

Faire son épicerie gratuitement, c’est possible. À la fermeture des marchés, un nouveau type de clientèle arpente les allées et les bennes à la recherche de denrées jetées, mais encore comestibles. Appelés « déchétariens » ou dumpster divers, ils fouillent dans les poubelles pour se nourrir. Une pratique qui fait des adeptes chez les étudiants. 

Dimanche soir, 17h15, marché Jean-Talon. La première étape est la boulangerie. « C’est là que ça part le plus vite », explique Mark*. Sur place, une dizaine de personnes sont déjà présentes, en majorité des jeunes. Plusieurs d’entre eux ont du pain. Mark tente sa chance en rentrant dans la boulangerie pour demander s’il en reste encore. Il ressortira cependant les mains vides.

Bien que les commerces soient sur le point de fermer, Mark et Magalie* décident de faire leur épicerie, et ce sans dépenser un sou. Ils sont déchétariens, et remplissent leur assiette en fouillant dans les bennes à ordures. Mark et Magalie pratiquent le dumpster diving depuis respectivement deux et neuf ans pour lutter contre le gâchis. Mark avoue que d’autres raisons, de nature financière, le motivent. « J’ai pas mal de problèmes avec la notion de travail, explique le jeune diplômé de l’UdeM. Le fait de faire des courses gratuites me permet d’avoir moins à travailler et pouvoir me concentrer sur des projets personnels. »

Fouiller par obligation

Pendant ce temps, Magalie a regardé et amassé plusieurs fruits et légumes déposés dans des cartons en face d’un commerce. D’autres personnes fouillent en même temps, mais personne ne se bouscule. Une sorte de respect mutuel semble unir les déchétariens. Parmi eux se trouve Élodie*, 55 ans, actuellement sans emploi, avec trois enfants à sa charge. « Je suis obligée de chercher presque tous les jours. Mon mari est décédé et je n’ai pas de revenu », raconte-t-elle. Elle a eu plus de chance que Mark et a obtenu du pain. « Il est en parfait état, c’est juste qu’ils veulent vendre du pain frais de la journée et jettent le reste », explique-t-elle.

L’activité de Mark et Magalie ne semble pas déranger les autres commerçants. Certains d’entre eux donnent même de la nourriture de leur propre chef. « Notre patronne donne tous les mercredis à un organisme, explique une commerçante du marché. Le reste du temps, nous donnons à ces personnes (en désignant Mark et Magalie) juste des produits très mûrs, mais encore bons. »

Tandis que les paniers de Mark et Magalie se garnissent de laitues, tomates et autres légumes, des amis les rejoignent. Ils ont déjà un gros sac d’épicerie rempli de légumes et de fruits. L’un d’entre eux, Olivier*, est étudiant à la maîtrise en sécurité alimentaire à McGill. Dumpster diver depuis cinq ans, il est selon lui possible de combler 80 % de ses besoins alimentaires avec cette pratique. «Les fruits ont même meilleur goût car ils sont mûrs ! », ironise-t-il. Pour des aliments tels que les pâtes, le riz et la viande, il faudra se rendre à l’épicerie.

Il est maintenant 18 heures, et la majorité des commerces sont fermés. Mark et Magalie concentrent leurs efforts vers les bennes à ordures. Cette stratégie a un double avantage : les chances de trouver quelque chose augmentent et les commerçants apportent ce qu’ils veulent jeter. C’est en utilisant une palette en bois en guise d’échelle qu’ils fouilleront les conteneurs.

Sur place, un autre groupe s’y trouve. L’étudiant en biologie à l’UdeM Christian* montre ses récoltes. « Regarde, il y en a pour environ 30 $ de courses et tout est frais», explique le Français, qui en est à sa deuxième cueillette. Dans ce qu’il a amassé se trouvent deux pastèques, des herbes, des fruits et des légumes. Tous dans un état convenable. «C’est nickel, explique-t-il en montrant un paquet de biscuit. Cela a été scellé sous vide et n’a pas été ouvert. » Magalie a aussi trouvé des paquets de biscuits au chocolat dans des emballages encore intacts. Elle explique qu’en trouver est plus facile qu’on ne le pense. « Il se conserve très longtemps. La raison pour laquelle les commerces en jettent, c’est qu’ils doivent faire de la place pour de nouveaux produits, explique la jeune femme. Ce sont générale- ment les mêmes, mais avec de nouveaux emballages. »

Manger avec les yeux

À ce moment-là, un marchand arrive pour jeter ses aubergines. Pour lui, cette situation est désolante. «Le problème est que les gens mangent avec leurs yeux. Si le produit a le moindre dégât, même mineur, il devient invendable », constate le commerçant.   « Nous en prenons pour nous, mais comme vous voyez, il en reste encore beaucoup », rajoute- t-il tout en aidant les déchétariens à trier les produits mangeables.

Non loin de là, un agent de police passe. « Tant que l’on ne rentre pas dans une propriété privée et que les déchets sont sur la voie publique, il n’y a aucun problème », assure- t-il. Il est 18 h 30 et la récolte a été bonne selon Mark. En se salissant un peu les mains, lui et Magalie ont réussi à amasser de quoi nourrir 10 personnes pendant plus d’une semaine. Ils vivent dans une coopérative ; tout sera utilisé et partagé. Quand on dumpster dive, on ne prend que ce dont on a besoin.

ADIL BOUKIND

*Ces noms ont été changés afin de respecter l’anonymat. 

 

Encadré

Une pratique potentiellement dangereuse

La nutritionniste du Centre de référence sur la nutrition de l’UdeM (Extenso) Amélie Baillargeon conseille d’éviter les produits lai- tiers, les œufs, le poisson et la viande. Les légumes et les fruits (excepté les melons et les pastèques) devraient être consommables s’ils sont cuits. Mme Baillargeon explique que les dumpster divers doivent connaître les pratiques des commerçants. Certains d’entre eux utiliseraient des produits chimiques tels que la mort au rat ou l’eau de javel pour empêcher les déchétariens de fouiller dans leurs poubelles. 

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