À la banque, rien de nouveau

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Par Sophie Mangado
mardi 20 mars 2012
À la banque, rien de nouveau

Les Québécois qui empruntent pour payer leurs études s’endettent déjà de 14 000 $ en moyenne auprès du gouvernement, de leurs proches et des institutions privées. Les banques se préparent-elles à financer plus d’étudiants avec la hausse des frais de scolarité, et qu’ont-elles à y gagner ? La question divise, et leurs réponses demeurent vagues dans un contexte de grève étudiante éminemment politique.

 

Illustration Mélaine Joly

L’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) a analysé les effets de la hausse sur le coût du programme de l’Aide financière aux études (AFE). D’après les chiffres publiés en janvier dernier, les intérêts supplémentaires versés par l’État aux institutions financières oscilleront entre 3,4 et 5,6 millions de dollars par an. Le plan de financement des universités, établi par le ministère des Finances du Québec, estime ces coûts additionnels à 3,6 millions.

Ces retombées seront-elles significatives ? Pour Philippe Archambault, chef de produit Solutions de crédit à la Banque Nationale, « tout dépend de ce que l’on entend par “significative”, mais cela représente effectivement une certaine somme que se partageront les quatre ou cinq grandes institutions concernées ». Ces banques qui travaillent avec le gouvernement dans le cadre de l’AFE sont les caisses Desjardins, la BMO, la Banque Nationale, la RBC et la Banque Laurentienne. De là à affirmer qu’elles vont faire plus d’argent grâce à la hausse des frais de scolarité, M. Archambault estime que « c’est un raccourci rapide ».

Et qu’en est-il des intérêts payés directement par les étudiants qui auront de plus en plus recours au financement privé ? Selon M. Archambault, si la Banque Nationale n’anticipe pas nécessairement que davantage d’étudiants sollicitent du financement privé, elle n’exclut pas que « les montants financés [dédiés au étudiants] soient peut-être augmentés ». Et l’objectif demeurerait de recruter, en quelque sorte, une clientèle qu’il s’agira de fidéliser. « Nos produits adressés aux étudiants sont des produits qui nous permettent de bâtir une relation avec nos clients, explique M. Archambault. On amorce cette relation alors qu’ils sont étudiants, et on souhaite la maintenir par la suite. » Chez Desjardins, on estime difficile de savoir si la hausse des frais de scolarité aura une incidence sur les profits et les marges dégagées par les banques. « Ce chiffre n’est pas encore quantifiable », déclare Éliane Martin, coordonnatrice à la Fondation Desjardins.

L’analyse d’Éric Martin, doctorant en sciences politiques à l’Université d’Ottawa et chercheur à l’Institut de recherches et d’informations socioéconomiques (IRIS), est tout autre. « C’est une occasion d’affaires assez lucrative. Prétendre que la hausse des frais ne profitera pas aux banques est absurde. Elles ont tout intérêt à ce que les gens s’endettent individuellement davantage, affirme-t-il. On voit là une tendance de remplacer une éducation payée par les impôts collectifs par une éducation financée par l’endettement des individus, par le crédit. Qui dit crédit, dit emprunt et endettement, qui dit endettement dit intérêts pour les banques et capacité de “titriser” [revendre leurs créances à des investisseurs] les dettes sur le marché.»


Logique spéculative

Selon M. Martin, cette logique dépasse l’investissement, c’est de la spéculation. « On a affaire à une nouvelle bulle spéculative à l’échelle mondiale […] où l’on encourage les gens à s’endetter massivement [pour leurs études] sous prétexte qu’il y aura un gros retour sur investissement. » Outre le fait qu’il soit sceptique quant à un tel retour vu les incertitudes de l’emploi, M. Martin met en garde contre les effets délétères à prévoir. « Une fois que les banques auront prêté aux étudiants, elles vont pouvoir prendre leur dette pour aller la vendre sur les marchés financiers sous forme de ce qu’on appelle les subprimes [des créances plus risquées que la moyenne et à haut rendement pour le prêteur ] . On “titrise” des créances toxiques qu’on présente ensuite comme des produits financiers, puis on va spéculer sur la dette des étudiants. Exactement ce que l’Angleterre s’est proposée de faire : vendre la dette des étudiants aux marchés financiers », explique-t-il.

 

Retour de dettes ?

Quant à savoir si les bénéfices engrangés par les banques seront redistribués aux étudiants, par exemple sous forme de bourses, Philippe Archambault de la Banque Nationale répond « pas nécessairement », avançant qu’il n’y a pas actuellement de données précises sur la question. Francine Blackburn, du département des communications du Mouvement Desjardins, précise que l’institution financière est « en train de développer de nouveaux produits destinés [à aider les étudiants], mais qu’il est prématuré d’en parler parce que tout n’est pas encore bien ficelé ». Mme Blackburn assure par ailleurs que ces produits, de même que la bonification du programme de bourses de la Fondation Desjardins annoncée fin janvier, « n’ont rien à voir avec la hausse des frais de scolarité ».

Éric Martin ne croit pas que les autres banques vont développer leurs programmes de bourses. « L’objectif d’une banque reste de vous endetter afin de vous faire rester des années. Les bourses sont beaucoup moins efficaces qu’un emprunt si la banque est dans une logique de fidélisation du client », considère-t-il.

 

Omerta

Terreau propice à un accroissement de l’endettement des individus selon les uns, investissement avantageux selon les autres, le recours au privé pour financer les études ne fait pas l’unanimité. Une chose est certaine, les banques restent réservées quant aux conséquences possibles de la hausse des frais de scolarité sur leurs activités. Sur les cinq institutions financières auxquelles Quartier Libre s’est adressé pour sonder leurs orientations, quatre d’entre elles ont décliné la proposition d’une entrevue, seule la Banque Nationale a accepté de se prononcer succinctement sur le sujet.

« Nous n’avons pas de nouveaux produits ni de nouveaux services à annoncer à nos clients étudiants », a répondu par courriel Raymond Chouinard de la RBC. À la BMO, Sarah Bensadoun a retourné qu’on ne peut « spéculer à ce stade-ci sur l’effet de l’augmentation proposée des frais de scolarité [sur la relation des banques avec les étudiants] ». Rien dans les réponses laconiques des banques ne laisse entrevoir qu’elles prennent ou prendront des mesures particulières dans le cadre de la hausse prévue.