Volume 22

La Terre est verte

C’est le grand jour ! L’heure est au recueillement. Les yeux sont fermés, le prêcheur y va de sa litanie. « Ô Terre adorée, somptueuse Terre, toi qui nous as tout offert, nous te vénérons et te respectons, le temps de cette grand-messe… »

Un peu plus tard, au confessionnal, Jean-Nicolas a la voix qui tremble et les mains moites. « Veuillez me pardonner, Mon Père, parce que j’ai péché. Hier, j’ai utilisé du papier toilette à trois couches, non recyclé. Je ne sais pas ce qui m’a pris… »

Une fois sorti, Jean-Nicolas a le cœur léger. Tout est oublié. Enfin, à une condition : demain matin, sa pénitence consistera à éviter de faire les 50 mètres qui le séparent de sa boulangerie en pick-up. Jean-Nicolas sait que ce sera difficile, mais il le fera, pour le bien de la planète. Et pour se récompenser, il se préparera un bon cappuccino avec sa cafetière à dosettes en plastique.

Le jeune homme a pris le parti d’être écolo comme on décide d’être conservateur ou libéral. Ne le traitez pas d’ « écolo du dimanche », ni d’ « écolo du Jour de la Terre », il risquerait de le prendre mal. Après tout, il ne prend plus six mais bien cinq bains moussants par semaine, et s’impose cette discipline de fer depuis au moins 72 heures.

« L’enverdeur », comme le surnommerait le chroniqueur Éric Duhaime*, fier de son néologisme insolent, aime lire dans les journaux à quel point il est responsable de toutes les données alarmantes sur l’état de l’environnement mondial. Cette façon qu’ont les médias de le faire culpabiliser l’incite à marcher pour le climat en arborant sa pancarte « Non aux sables bitumineux ! » Une belle façon de se repentir. Pancarte que l’on retrouvera au passage quelques heures plus tard sur le sol, piétinée par les passants.

Sa petite amie Mélanie a eu une journée bien chargée aujourd’hui : une course à vélo pour aller travailler à Montréal, la cuisine de produits locaux en rentrant, et la fabrication de son propre savon. Il a fallu faire tout le ménage de la maison, au bicarbonate bien sûr, et ce soir, elle prie pour que Jean-Nicolas accepte sa proposition de passer aux toilettes sèches et à l’éclairage à la bougie. La tâche sera ardue, elle le sait, mais ce chemin de croix lui apporte petit à petit une béatitude qu’elle n’attendait plus.

Mélanie vit pleinement ce qu’elle considère à la fois comme son credo et un choix de vie à part entière. Elle parvient ainsi chaque matin à se regarder dans le miroir en ayant la conscience tranquille d’une puritaine. Loin d’être intolérante, elle ne porte aucun jugement sur ceux qui aspirent plutôt à vivre dans un brouillard asphyxiant et à porter quotidiennement un masque antipollution. Chacun sa religion.

Elle aime pourtant se moquer régulièrement du côté « écolo à ses heures » de son compagnon. Pour elle, on voue sa vie à l’environnement, ou on reste chez soi à utiliser sa tablette électronique dernier cri. Tout est une question de vocation.

Demain, la jeune femme rencontrera le potentiel acheteur de tous ses électroménagers et du pick-up de son compagnon. Plus de frigo, plus de télé, plus de voiture, la pilule va être difficile à faire passer auprès de Jean-Nicolas. Ça aussi, il faut qu’elle lui en parle ce soir…

Écolo un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Certains font finalement le choix du pas du tout face à l’immensité des gestes à accomplir. Une chaîne n’est pourtant jamais plus forte que le plus faible de ses maillons. La conscience individuelle quotidienne est la clé.

Croyez-moi, la Terre est verte, et elle a des raisons de l’être. Aujourd’hui, Platon pourrait la trouver plate, parce qu’elle ne tourne plus rond.

Agissons.

Amen.

*https://www.facebook.com/eduhaime

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