D’ailleurs, que s’est-il passé en 2012 déjà ? Peut-être pourrions-nous poser la question au Comité Printemps 2015. « Aujourd’hui, une grève historique s’amorce au Québec alors que plusieurs dizaines de milliers d’étudiant-e-s débrayent contre l’austérité et l’économie du pétrole. Il s’agit de la première grève générale étudiante depuis la fin des années soixante […] à se tenir sur un enjeu politique », peut-on lire sur la page Facebook de l’organisation. L’annonce date du 23 mars dernier. Entre les années soixante et 2015, c’est donc le vide intersidéral. Les étudiants n’auraient jamais bougé le moindre petit doigt concernant un quelconque enjeu politique durant ce vaste espace-temps.
Il faut croire que oui, car selon l’organisation, « Jusqu’ici, l’ensemble des grèves générales étudiantes s’étaient concentrées sur la question des prêts et bourses ou des frais de scolarité. L’aspect « politique » de cette grève [NDLR : de 2015] renouvelle l’action politique étudiante au Québec », indique l’organisation. Concernant la dernière grève générale étudiante tenue sur une question politique, le comité fait référence à la grève étudiante de 1969 contre le « Bill 63 » accordant le libre choix aux parents de la langue d’enseignement de leurs enfants.
L’aspect politique de grèves plus récentes comme celles de 2005 et de 2012 ne serait donc pas pris en compte par l’organisation. Il ne semble pas entrer dans l’acception de l’expression « enjeu politique » employée ici par le Comité. Quels sont alors les enjeux liés au débat concernant les bourses et les frais de scolarité ? Cette question doit se situer dans une zone interstellaire totalement méconnue de l’Homme. Perdue quelque part entre 1969 et 2015.
Sept mois de conflit comprenant la démission de la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, et débouchant sur un changement de gouvernement, rien de bien politique là-dedans !
Plus sérieusement, le Comité Printemps 2015 souhaitait-il maladroitement signifier que pour la première fois depuis 1969, les étudiants font grève pour des enjeux plus larges que ceux ciblant précisément leur portefeuille ? Certes, le dire de la sorte aurait sans doute été tout autant malhabile, si ce n’est plus. D’autant plus que cette affirmation se discute largement. Pourtant, c’est l’idée qui semble vouloir émaner d’une telle annonce : les étudiants se soulèveraient pour la première fois depuis 46 ans dans le cadre d’une grève sociale.
Il faut rappeler tout de même qu’en avril 2012, des étudiants venaient perturber le Salon Plan Nord, où était invité le premier ministre de l’époque, Jean Charest.En mai 2012, ils protestaient contre la loi 78, encadrant le droit de manifester, puis contre le règlement municipal P-6 à Montréal, encadrant notamment le port du masque lors de manifestations. Entendons-nous sur le fait que cette grève générale étudiante de 2012, revendiquant au départ l’abolition de la hausse des droits de scolarité, a également conduit à une mobilisation sur des enjeux touchant plus largement la société.
Cette année, chaque camp semble s’être préparé, en vue d’une mobilisation beaucoup moins spontanée. D’anciens « carrés verts » se sont regroupés au sein de la Fondation 1625, qui existe depuis 2012, mais qui propose désormais un kit « Injonction 101 » pour les étudiants souhaitant conserver le droit d’assister à leur cours. Sur le campus, une coalition réunissant les syndicats et les associations étudiantes de l’Université reprend du service. Les macarons à l’effigie d’un grand prédateur au pelage gris, nouveau visage de la contestation, sont également distribués à tout va.
Des restes de 1969 ? Pas véritablement. C’est bel et bien le feutre rouge qui a marqué les esprits ces dernières années, et qui, peut-être, a donné le réflexe aux étudiants d’entreprendre des grèves plus sociales, voire davantage organisées, expérience oblige.
Un réflexe qui pourrait aussi mener vers la dérive du systématisme : faut-il faire grève pour faire grève ? Pour dénoncer une austérité qui veut à la fois tout et rien dire, et qui, surtout, n’est pas née d’hier ? C’est évidemment un autre débat.
Mais si cet événement historique de 2012 a insufflé un nouvel élan aux étudiants, celui de ne pas protester uniquement quand on touche à leurs frais de scolarité, on ne peut pas condamner ça. Dans l’idée, en tout cas. Il reste maintenant à voir ce que cela donnera sur le plan des moyens entrepris.
Hurlerez-vous avec les loups ?