«Penser pouvoir réaliser des films aujourd’hui sans avoir été assommé par la puissance d’un film de Dreyer, Eisenstein, Murnau, Vigo, Bresson, Buñuel relève à mes yeux d’une sorte de folie ou du moins d’une grande irresponsabilité relativement à l’histoire d’un art auquel on voudrait contribuer, même modestement», croit le professeur adjoint au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM André Habib. Ce dernier recommande à ses étudiants de grands réalisateurs tels qu’Orson Welles, Sergueï Eisenstein, Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard et Wim Wenders.
Étudiant à la maîtrise en études cinématographiques
Les étudiants sont ainsi appelés à voir et à revoir, dans le cadre de plusieurs cours, une poignée de films indispensables. «J’ai toujours des listes de films à voir», affirme l’étudiante au baccalauréat en études cinématographiques Pier-Anne Lussier. Dans tous mes cours, dès que le professeur mentionne des titres, je les note. Du coup, j’ai des listes à n’en plus finir. Mais c’est rare que je les regarde.»
Pour l’étudiant à la maîtrise en études cinématographiques Antoine Amnotte-Dupuis, cette pratique est inutile. «J’en suis venu à la conclusion que tous les films sont à voir, dit-il. Une liste n’est pas nécessaire, surtout lorsque tu es étudiant en études cinématographiques et que tes cours te proposent déjà des listes de films obligatoires et suggérés .»
Des films désuets
L’étudiant au baccalauréat en études cinématographiques Mickael Nokovitch regrette pour sa part que les films suggérés par certains de ses professeurs restent souvent dans des eaux très classiques. «Il y a ce que j’appelle des listes de bourrage de crâne, les must à voir, assure-t-il. Tout le cinéma du siècle dernier est une corvée à regarder pour moi. La Nouvelle Vague, c’est surfait, c’est vieillot. Ce cinéma n’appartient plus à notre temps.»
Avec ses 39 titres, l’échantillon de Martin Scorsese est éminemment subjectif, d’où l’omission volontaire de certains grands classiques. «Cette fameuse liste, que tout étudiant en cinéma dans le monde devrait connaître, présente des classiques qui se retrouvent dans les multiples listes de films obligatoires pour un étudiant du baccalauréat ici à l’UdeM», expliqueAntoine Amnotte-Dupuis. Cette initiative du cinéaste est quelque peu prétentieuse selon l’étudiant.
«En tant que président et fondateur de la World Cinema Foundation [organisation qui se consacre à la préservation et à la restauration d’œuvres essentielles du patrimoine cinématographique mondial], je trouve qu’il reproduit une cartographie très canonique, voire un peu ringarde du cinéma, déplore André Habib. Je suis un peu étonné qu’il n’ait pas proposé quelques films qui sortent des terrains battus, un Sembène, un Kiarostami, un Skolimowski, ça décoiffe et ça inspire.» Ces trois réalisateurs, respectivement sénégalais, iranien et polonais, ont été actifs dans les années 1960.
Être curieux et ouvert avant tout
Plutôt que d’établir des listes, M. Habib essaie de développer chez ses étudiants une curiosité qui dépasserait le cinéma. «Il faut non seulement connaître Rossellini et Godard, mais aussi Proust et Rimbaud, Picasso et Rothko, assure-t-il. J’essaie aussi et surtout de leur faire saisir que le cinéma n’est pas simplement un métier, c’est quelque chose qui engage la vie et un milieu dans lequel il faut accepter de se perdre.»
Pour Mickael Nokovitch, les préférences esthétiques peuvent simplement guider la curiosité de chacun, nul besoin de se perdre dans le «supermarché du film». L’apprenti cinéaste chérit des univers particuliers selon les réalisateurs. «Ce que je recherche chez du Wes Anderson par exemple, c’est son univers enfantin, fantaisiste avec une direction artistique très colorée, presque papier mâché», dit-il.
Découvrir le cinéma en se concentrant sur une période donnée ou sur un réalisateur en particulier peut être une façon de forger sa culture à petite dose, sans s’étourdir et ne plus savoir où donner de la tête parmi une liste infinie de chefs-d’œuvre.