Un visage, une partie du bras, le tout sur un fond déterminé pris avec un téléphone intelligent pour exposer sur les réseaux sociaux à quel point notre vie est trépidante : voici l’autophoto ou le selfie. Mais, dans cet espace sans cloisons qu’est internet, cette démarche n’est pas sans conséquence sur notre vie privée.
Du point de vue juridique, le selfie relève du droit à l’image, lui-même dérivé du droit à la vie privée. Son régime est fixé par l’arrêt de la Cour Suprême Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., qui distingue deux situations : la diffusion et l’utilisation.
La diffusion est le fait de publier une photo sur les réseaux sociaux. Comme le selfie est un autoportrait, la distinction entre la personne photographiée et le photographe n’a pas lieu d’être, le consentement à la diffusion est donc présumé par le fait de publier la photo.
L’utilisation est le fait de reprendre cette photo pour un usage qui peut être commercial, éditorial ou artistique par d’autres utilisateurs.
Dans le cadre d’une utilisation commerciale (ex. : une publicité), le consentement de la personne photographiée est toujours nécessaire.
Dans le cadre d’une utilisation éditoriale ou artistique (ex. : presse, blogue, exposition), le consentement est également requis, à moins que la photo ait été prise dans le cadre d’un « événement d’intérêt public ».
Il s’agit la plupart du temps d’événements mettant en scène l’individu dans une scène reliée à l’actualité, par exemple la participation à une manifestation ou la présentation de la photo de la personne victime d’un crime.
Il y a donc dans le selfie un risque de reprise de la photo.
Comment éviter les ennuis ?
Pour « l’utilisateur », qui voudrait éviter de voir sa responsabilité engagée devant les tribunaux, il est recommandé de demander le consentement de la personne, et ce même si l’événement est d’intérêt public.
Pour « l’utilisé », cette protection n’est pas absolue car, derrière une possible atteinte au droit à l’image, le seflie montre avant tout une volonté de s’exposer, de se diffuser, ce qui réduit les attentes en matière de protection de la vie privée. C’est ce qui ressort de l’arrêt de la Cour Supérieur du Québec Blanc c. Éditions Bang Bang inc. Si l’on s’expose sans se protéger, on peut s’attendre à des dérives.
La protection passe donc par une responsabilisation de son comportement sur les réseaux sociaux. Ainsi, il conviendrait de limiter la visibilité de ses clichés en restreignant l’accès à son profil (utilisateur privé sur Twitter et Instagram et « visible par amis » sur Facebook), et d’éviter les mots-clics pour ne pas rejoindre un grand nombre de personnes.
Si vous choisissez toutefois de garder des paramètres de confidentialité publics, pour garder la substance même du selfie, il existe une autre forme de protection : l’emploi d’un pseudonyme.
Cette éventualité est la plus recommandée si vous ne voulez pas avoir à défendre des selfies peu flatteurs lors d’une entrevue avec un futur employeur. Elle permet également d’opérer une distinction entre vie professionnelle et vie privée sur la Toile, car le selfie peut avoir un but professionnel, comme montrer sa présence lors d’un événement ou d’une action bénévole. L’emploi d’un pseudonyme peut séparer le selfie pris à l’occasion d’un gala de charité du selfie duckface pris dans sa salle de bain.