Volume 21

Apprivoiser ses émotions

Des psychologues de l’UdeM sont convaincus de l’importance de l’intelligence émotionnelle dans la réussite scolaire et socioprofessionnelle d’un étudiant. Toutefois, il n’existe pas de techniques particulières pour la développer.

«L’intelligence émotionnelle, c’est l’aptitude à percevoir ses propres émotions, à les évaluer et à les exprimer, explique le professeur à l’École de psychoéducation de l’UdeM Serge Larivée. C’est aussi la capacité à identifier et à comprendre les émotions d’autrui. Le psychologue américain Daniel Goleman a rendu populaire la notion d’intelligence émotionnelle, même s’il n’en est pas l’inventeur.

Développée à partir des années 1990 et utilisée en psychologie ainsi qu’en psychothérapie, l’intelligence émotionnelle est à l’opposée de l’intelligence cognitive basée sur la connaissance. Elle est une identification d’émotion, ce qui suppose un apprentissage. Elle permet d’apprendre à reconnaître les émotions chez soi ainsi que chez les autres, et à s’y adapter. Des séminaires consacrés à l’intelligence émotionnelle sont donnés à HEC depuis 1996. «Nous enseignons aussi l’intelligence émotionnelle pendant environ six heures dans les certificats ou dans les baccalauréats», précise la spécialiste de l’intelligence émotionnelle et professeure à HEC, Estelle Morin. Elle croit que cette matière devrait aussi être enseignée dans les autres programmes. «A partir du moment où on vit en société, il est utile de savoir comment s’ajuster aux émotions », ajoute MmeMorin. La professeure invite à porter attention au sens des émotions.

Selon la coordonnatrice du secteur Soutien à l’apprentissage du Centre étudiant de soutien à la réussite de l’UdeM (CÉSAR), Dania Ramirez, chacun touche à l’intelligence émotionnelle tous les jours dans différentes facettes de sa vie. «C’est tout ce qui fait réussir autre que le quotient intellectuel (QI)», affirme-t-elle. Le professeur au Département de psychologie de l’UdeM Serge Lecours avance, quant à lui, que ceux qui ont du succès en général ont une intelligence émotionnelle développée. «Quand on apprend à reconnaître les émotions, on apprend à s’y adapter», soutient-il.

Utile à l’école

Le CÉSAR donne aux étudiants de l’UdeM des ateliers sur les compétences scolaires et professionnelles qui touchent de près au concept de l’intelligence émotionnelle. Pour Mme Ramirez, tout étudiant doit développer des compétences personnelles en parallèle au savoir qu’on lui inculque. «Il doit apprendre par exemple comment faire une présentation orale, comment communiquer ses idées et comment se contrôler», explique-t-elle.

Dans un travail d’équipe, si un étudiant ne fait pas bien sa partie ou s’il la rend en retard, son coéquipier, s’il manque d’intelligence émotionnelle, aura tendance à lui faire des remarques blessantes, remarque la coordonnatrice du secteur Soutien à l’apprentissage du CÉSAR. «Par contre, le coéquipier chez qui cette notion est développée sera plus empathique et cherchera à savoir pourquoi le travail a été mal fait», soutient Mme Ramirez. Cette façon de faire permettra d’aider l’étudiant fautif et d’apaiser ainsi la frustration de l’équipe. L’étudiante au baccalauréat en études cinématographiques Stéphanie Hamel ne pense pas avoir une intelligence émotionnelle développée. «J’ai assez de difficulté à m’exprimer dans un groupe, car je ne suis pas à l’aise dans la communication orale, constate l’étudiante. Si dans un travail de groupe, un coéquipier bâcle sa partie, j’aurais tendance à la faire à sa place et à le signaler au professeur.»

Pour la coordonnatrice du CÉSAR, il ne s’agit pas d’être hypocrite, mais plutôt de dire les choses d’une certaine manière. «L’hypocrisie serait de dire à l’étudiant fautif que son comportement ne dérange pas le groupe, alors que ce n’est pas vrai, croit-elle. La façon d’exprimer son insatisfaction est très importante. »

Certains étudiants vont demander de l’aide au CÉSAR, parce qu’ils n’ont pas confiance en eux. Ils ont de la difficulté à croire en leur potentiel intellectuel. À force de se dire qu’ils manquent d’intelligence, ils finissent par développer de l’anxiété et deviennent effectivement incapables de réussir leurs examens. «J’ignorais que le CÉSAR aidait les étudiants, avance l’étudiante en études cinématographiques. Cela m’intéresserait d’y participer.»

Les psychothérapeutes du CÉSAR recommandent à ces étudiants des lectures et leur présentent des personnes ou des personnages modèles capables de réveiller leur confiance en eux. «Ces étudiants doivent être conscients de leurs limites et apprendre à s’affirmer malgré leurs défauts», dit Mme Ramirez.

Application dans la vie

L’intelligence émotionnelle se révèle importante aussi bien à l’école, qu’au travail ou en amour. Dans un jeune couple par exemple, si une femme dit à son conjoint : « il faut qu’on se parle », et que ce dernier devient distant et froid, la femme, si elle n’a pas une intelligence émotionnelle développée, va considérer ce comportement comme un manque de respect envers elle. «Or, celle qui maîtrise ce concept comprendra que ce qui motive la réaction de son partenaire, c’est peut-être la crainte d’être rejeté ou délaissé », explique M. Lecours. Une fois que la cause a été identifiée, la jeune femme peut rassurer son conjoint en lui donnant le motif de la discussion.

Au travail, une bonne maîtrise de l’intelligence émotionnelle permet de gérer l’humeur d’un client ou d’un collègue. «Si un client intoxiqué à l’alcool ou à la drogue s’en prend à vous, il ne faut pas embarquer dans une argumentation avec lui, de peur de ne faire que jeter de l’huile sur le feu», conseille M. Lecours. Au contraire, il faut rassurer cette personne, lui montrer qu’on est à son écoute et qu’on a confiance en elle, pour la calmer.

Il y a aussi cet exemple qui concerne ceux qui font souvent de l’insomnie. « Quand, au moment de dormir, on pense à un sujet angoissant, comme un examen ou le loyer à payer ou à un sujet complexe, le sommeil tarde à venir», croit M. Lecours. Aussitôt que cette émotion est identifiée et sa cause connue, il faut forcer le cerveau à penser à autre chose de façon à lui éviter un état d’alerte et d’éveil.

Un concept contesté

Quand Goleman a popularisé la notion de l’intelligence émotionnelle en 1995, il a affirmé que ce concept était supérieur au QI dans la mesure de l’intelligence d’une personne. «Je ne crois pas du tout au travail de Goleman, s’exclame Serge Larivée. C’est à peu près n’importe quoi !» S’il reconnaît que des travaux d’envergure ont depuis été faits sur le sujet, il n’en demeure pas moins sceptique par rapport à la pertinence du concept. Pour Stéphanie Hamel, l’intelligence émotionnelle est aussi importante que le QI. «C’est dommage d’avoir de belles idées et de ne pas être capable de les partager avec d’autres, pense l’étudiante.

Selon M. Larivée, chaque individu développe sa personnalité en fonction de ses expériences dans la vie. «C’est faux de penser que cette notion est supérieure au QI, prétend M. Larivée. Le QI est le meilleur indicateur de la réussite.» Mme Ramirez croit en effet qu’un étudiant aura beau avoir une intelligence émotionnelle remarquable, s’il lui manque des habiletés cognitives, il ne pourra pas réussir.

Dans un article intitulé Pour réussir dans la vie professionnelle a-t-on besoin d’un bon QI ou d’un bon Quotient émotionnel (QE), M. Larivée et certains de ses confrères ont montré que développer son intelligence émotionnelle a très peu d’effet sur la réussite d’un individu.

Serge Larivée est contre la manipulation des émotions. «J’ai tendance à penser qu’exprimer ses émotions, c’est quelque chose de sain», déclare-t-il. Il constate que les défenseurs de l’intelligence émotionnelle ont réalisé un coup de maître seulement en associant deux termes qui suscitent les passions.

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