Culture

Dédé et Momo

À chaque numéro, Quartier Libre offre la chance à un de ses journalistes d’écrire une nouvelle de 500 mots sur un thème imposé. Le thème de ce numéro est: isoloir.

Le jour où Momo a décidé de partir, c’est parce qu’il étouffait, là où il avait grandi. Durant le printemps le plus chaud depuis toujours. Le climat était trop dangereux pour lui et ses frères et soeurs, le moindre petit soupçon qui planait au-dessus de lui devenait vite une lame de guillotine. Ce qui était à la base un tiraillement social était maintenant un chaos, où le gentil voisin se permettait d’abattre celui d’en haut pour une opinion. Encore pire, si on était pris à discuter de « qui dirige qui» et de «ce qui doit changer », on finissait embroché comme un shish-kebab. La foi sous le tapis, comme la poussière, sans se faire prier pour rester, Momo prit la fuite.

Il se mit en route pour un monde meilleur, le pays de Dédé, accompagné par des milliers de frères et soeurs dont il savait qu’ils partageaient les mêmes craintes et espoirs. Un jour, pensait-il à l’époque, il pourrait enfin décider librement du chef qu’il voudrait, et ce ne serait certainement pas un dictateur tyrannique ! «Parce que les gens chez Dédé ont le pouvoir de choisir leur chef à eux, et on leur fout la paix quand ils font un petit “x”, seuls dans l’isoloir en carton », se disait-il. Apparemment que là-bas, c’est sacré.

Dédé a entendu dire plein de choses au sujet de gens comme Momo. Ils traversent la Terre au grand complet pour fuir un paquet de mauvaises choses. C’est la richesse de pouvoir s’exprimer librement qui rend Dédé fier d’où il vient. Ici, on peut parler de tout, partout, tout le temps. On peut même entarter ceux qu’on aime moins.

«Ça doit donc valoir cher pour ceux qui n’ont pas ce loisir», pense-t-il.

Momo lui confirme sans peine que d’avoir le pouvoir de décision sans la violence, c’est fondamental. Plus encore, c’est sacré !

Pourtant, les mots n’ont pas la même résonance chez Dédé et chez Momo. Ce dernier aime toujours épater ses copains en racontant que, dans son pays, les gens s’entretuent pour un changement. Ici, ce sont les prétendants au poste de chef qui se battent pour incarner le changement, le vrai.

C’est alors que Dédé lui répond que le mot sacré ne désigne plus grand chose chez lui, surtout pas un isoloir en carton. Ici, ça fait longtemps qu’on a arrêté de nourrir la foi du dimanche pour muscler le foie du samedi, lui dit-il pour rire.

Tranquillement, Momo s’acclimate à un printemps considérablement moins chaud. Il apprend une nouvelle façon de sacrer, différente de celle qu’il connaissait. Ici, les conflits sont bien gérés, propres  et sans éclaboussures de sang, jamais. « Le climat est manifestement plus froid, et c’est franchement mieux comme ça !», admet-il.

Peu importe si demain c’est le jour du scrutin, le jour de Dieu ou le jour J. Ce soir, Dédé, Momo et leurs amis vont sortir s’amuser comme s’il n’y avait pas de lendemain. Ça brûle comme en enfer quelque part, mais ce n’est pas grave.

Là-bas, c’est loin d’Ici.

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