Volume 21

L'hyperconnectivité aurait des conséquences néfastes sur la santé, notamment la prise de poids. (Crédit photo: Adil Boukind)

Jamais sans mon écran

Les étudiants passent de plus en plus de temps derrière un écran. Que ce soit celui de leur téléphone portable, de leur tablette ou de leur ordinateur, il leur permet d’être constamment connectés. Au point que certains prennent même tous leurs repas derrière un écran d’ordinateur. Cependant, cette pratique ne reste pas sans conséquence, surtout sur la santé. 

Le monde n’a jamais été autant connecté depuis l’avènement des réseaux sociaux. Sur les 10 étudiants interrogés pour l’article, tous ont assuré manger au minimum trois fois par semaine devant leur ordinateur. Certains d’entre eux avouent manger devant l’ordinateur presque tous les repas. L’étudiant au baccalauréat en communication à l’UdeM Florian Leroy fait partie de ces personnes. « Je mange une à deux fois par jour devant l’ordinateur, explique-t-il. Le souper est en général le moment où je vais avoir mon ordinateur en face de moi. Ça va être pour les infos, les séries, ou même Reddit, mais au final ça va être surtout pour les matchs de hockey. » L’étudiant remet malgré tout en question cette pratique. « J’ai peut- être pris un peu trop cette mauvaise habitude », avoue Florian. 

Gagner du temps

Le professeur en sociologie à l’UQAM spécialisé dans les habitudes alimentaires, Alain Girard, explique que cette habitude n’est pas nécessairement l’effet direct d’internet et des réseaux sociaux. Selon lui, la raison est le rap- port changeant avec le temps. « De plus en plus, les personnes cherchent à combiner deux activités afin de maximiser leur temps, explique le professeur. Pour les nouvelles technologies, on s’en sert durant le temps où on est relativement inactif. Manger serait devenu aujourd’hui du temps inactif. »

Pour la directrice du centre universitaire de nutrition préventive de l’UdeM (NUTRIUM), Natalie Jobin, ce comportement est attribuable à la notion d’éclatement familial. « Chaque membre d’une même famille a sa propre occupation, soutient la directrice de NUTRIUM. Le fait de ne pas prendre le repas ensemble et, par conséquent, de ne pas entretenir cette valeur peut inciter les jeunes à se mettre devant un écran. »

Par ailleurs, cette nécessité d’effectuer plusieurs tâches personnelles simultanément proviendrait entre autres du travail et des études. « Durant ce temps où nous devons assurer nos fonctions professionnelles, il nous est impossible de consulter nos courriels ou de répondre à nos appels personnels, par exemple, soutient le sociologue. C’est pour cela que cette heure du dîner est une occasion pour nous de pallier ce manque de temps.»

Il est aussi important de noter que le fait de manger devant l’écran augmente les chances de prendre du poids. Mme Jobin explique qu’il est difficile d’être conscient de la quantité ingérée quand les repas sont pris devant un ordinateur. « Quand on mange devant son écran, on a tendance à ignorer les signes de satiété étant donné que l’on se concentre sur autre chose, déclare-t-elle. Par signe de satiété, j’entends les signaux que nous envoie notre corps pour dire que l’on est rassasié. » Les individus ont tendance à se nourrir plus mal et à se diriger vers de la nourriture de moindre qualité et à densité énergétique élevée comme les plats préparés ou des croustilles au détriment des fruits et des légumes. Selon une étude de la firme de recherche marketing Ipsos sur des Français âgés de 18 à 35 ans, les repas pris devant un écran engendrent un état de surpoids ou d’obésité chez plus du tiers des personnes interrogées.

L’augmentation du poids n’est pas la seule répercussion néfaste que peut entrainer la prise des repas devant un ordinateur. La directrice du NUTRIUM pense que cette pratique peut avoir de nombreuses conséquences sur l’hygiène de vie. « Ce comportement peut avoir des effets sur le bien-être immédiat, explique Mme Jobin. La personne fera peut-être moins d’activité physique et sera entraînée dans un cercle vicieux. » Au-delà des impacts néfastes sur l’alimentation, elle n’exclut pas que le sommeil puisse pâtir d’un tel com- portement. En effet, la National Sleep Foundation (NSF) aux États-Unis a démontré, dans une étude publiée en 2011, que l’utilisation des technologies de la communication dans l’heure précédant le coucher pouvait perturber le sommeil. Cette habitude diminuerait le temps consacré à dormir. D’après les médecins, l’exposition aux lumières artificielles contribueraient à garder l’individu en état d’alerte, pouvant même aller jusqu’à supprimer la mélatonine, l’hormone du sommeil.

Une pratique solitaire

Bien que cette pratique soit de plus en plus répandue chez les jeunes, elle a toutefois la vie dure quand l’individu n’est pas seul. Diplômée du baccalauréat en anthropologie à l’UdeM, Caroline Poliquin confirme que ses habitudes alimentaires ont changé depuis qu’elle est en couple. « J’avoue que je mangeais beaucoup plus souvent devant l’ordinateur quand j’étais célibataire, confie l’étudiante. Je regardais des séries à tous les repas. » À partir du moment où au moins deux personnes sont concernées, manger devant un écran n’est pas un réflexe. «Manger est un acte social, précise Mme Jobin. On va généralement faire plus d’efforts quand on est deux. Si un étudiant habite seul, manger devant son écran permettrait de combler la solitude.» La directrice du NUTRIUM conseille de consacrer le temps du repas à cette seule activité afin de prendre le temps de manger.

Tout reviendrait au rapport de subsistance ou de plaisir qu’entretiendrait la personne avec l’alimentation. Si celle-ci la considère comme pratique, elle aura tendance à manger en faisant quelque chose. « Je pense qu’il faut faire la différence entre manger pour le plaisir et se nourrir pour se remplir, ajoute M. Girard. Par exemple, une personne qui mange avec sa famille dans un autre pays via Skype n’aura pas tendance à négliger ses signes de satiété. » Si cette tendance continue à s’accentuer, elle pourrait devenir un des défis majeurs à relever en termes d’alimentation dans les prochaines années.

 

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