Opinions

Faire de la recherche

Dans le milieu universitaire, nous connaissons relativement bien l’expression de « faire de la recherche. » Néanmoins, il est intéressant de se demander : mais quand est-ce que nous nous trouvons à « faire de la recherche », précisément ?

C’est que l’expression fourre-tout se trouve à englober une multitude d’actions : s’interroger, prendre des notes, entrer des mots-clés dans des moteurs de recherche pour repérer des résultats, balayer ces résultats, en extraire les plus pertinents, consulter des documents, essayer d’y accéder en ligne, soupirer à l’éventualité négative qui se matérialise, les chercher en catalogues de bibliothèques, écrire la cote de leur emplacement sur un papier, prendre cette liste de cotes et partir « faire du terrain » dans les rayons de bibliothèques, consulter les documents sur place, prendre en note leurs informations bibliographiques, trancher entre trimbaler les documents à la maison pour en numériser un chapitre ou le photocopier sur place afin de ménager nos biceps et donner plus de jus à nos muscles du cerveau, etc. D’autant plus qu’à l’ère du numérique, ces actions peuvent se bifurquer de mille et une façons.

Intuitivement, j’ai plutôt l’impression que la recherche agit en véritable filtre et se « fait » partout : entre mes mouvements d’épaules qui bougent au rythme des playlists de Songza, alors que je suis assise en indien sur mon lit à travailler sur un projet de recherche, entre mon thé noir et mon désir subséquent de me faire un « vrai café, c’est quoi ce placebo-là », entre rester chez-moi à travailler et mon désir de sortir faire du coworking avec mon portable et mon chandail arborant une tête de mort (on a tous un objet qui nous cloue au seuil de la porte du monde des adultes et qu’on s’y plait ainsi) pour ainsi pouvoir me dire que la vie est si belle quand on peut gérer son temps.

Ainsi, le filtre en question vient réarranger nos journées et nous donner l’illusion de la faire, finalement, cette recherche. À défaut de la cerner, on va l’avoir à l’usure ! Puis, on doit périodiquement soigner notre névrose d’élu(e) à qui on a demandé de « faire de la recherche » (ou pire, à qui on adresse des chèques arborant le logo de l’université pour ce motif !). On en vient à vouloir soulever des roches, des crayons, des livres, des chats étendus sur des claviers et s’exclamer : « Hé ho, la recherche qui se fait, es-tu là ? »

Alors que je m’apprêtais à « faire de la recherche » comme je ne l’avais jamais fait auparavant (j’envoie la main à mon mémoire de maîtrise qui s’éloigne lentement de la rive du doctorat sur laquelle il m’a déposé), j’ai croisé une candidate au doctorat lors d’une soirée dans un bar. Je lui demande comment elle avait trouvé cela de faire un mémoire de maîtrise. Un verre dans la main, un portefeuille en cuir blanc bien attaché à son poignet, un décolleté plongeant, elle me dit : « Bin, faut aimer ça, faire de la recherche, là… » C’était mon premier avant-goût de ce que c’est de « faire de la recherche »; c’est là que j’ai appris que, bien qu’impossible à cerner, la bibitte noire qu’est « faire de la recherche » peut, si mal domptée, devenir si grande qu’elle nous empêche de passer dans les cadres de portes.

 

Anne-Marie Lacombe, bibliothécaire, finissante à la maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information à l’Université de Montréal et étudiante au doctorat en histoire de l’art à l’Université Concordia.

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