À chaque numéro, Quartier Libre offre la chance à un de ses journalistes d’écrire une nouvelle de 500 mots sur un thème imposé. Le thème de ce numéro est : départ.
À vingt-deux ans, Alexandra Jolicoeur quitta Montréal et fit de Paris son chez-soi. Elle dévorait la vie : littéraire, romantique, aventurière et anarchiste dans l’âme. Malgré sa petite taille, la charmante brunette pouvait relever tous les défis.
Son départ à Paris avait été très précipité. Après un baccalauréat en littérature à la grande institution qu’est l’Université de Montréal, couronné par une cote de 4.2, Alexandra plia bagage pour le Vieux Continent qu’elle connaissait déjà si bien. Ce n’était pas pour se ressourcer et mieux revenir, ni pour effectuer des études de maîtrise à la Sorbonne. Ce départ était simplement pour partir, sans aucune intention claire quant à son retour.
Dans la capitale mondiale de l’amour, elle se fit une existence enrichissante, mais un peu chaotique. Elle s’installa et elle s’initia à une toute nouvelle vie : un appartement, des colocataires, un job, même qu’elle eut un amoureux pendant quelque temps. Elle rayonnait par sa beauté et son audacieuse attitude.
Elle passait des weekends au bord de la mer à Nice et peut-être trop souvent dans le nightlife berlinois ou londonien. Elle profitait du vin et de la convivialité de la France. Elle peignait et elle écrivait. Même qu’un magazine littéraire underground commença à publier ses nouvelles.
Après plusieurs mois, Alexandra chercha à partir de nouveau à l’aventure, comme si son audace et son parcours n’étaient pas déjà assez enviables. Seule dans sa chambre, elle s’assit à son petit bureau et regarda une carte détaillée de l’Europe. Elle pensa à Vienne et à Belgrade. Elle voulait poursuivre vers l’est. Elle fit ses valises et s’apprêta à quitter Paris avec un des nombreux amis qu’elle s’était faits. Un autre monde d’expériences attendait le curieux esprit de mademoiselle Jolicoeur. Son nom de famille constituait d’ailleurs une description parfaite de son âme.
Dans le train de Paris à Vienne, elle se lança dans la lecture de Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. Elle se rappela Montréal avec sa vie heureuse, mais modeste. Elle se questionna sur la vraie valeur de ses expériences européennes qui incluaient possiblement trop de beaujolais et de bordeaux, mais trop peu de sommeil et de sagesse. Arrivée à Vienne, elle sut immédiatement que le véritable grand départ devait être un retour. Elle avait déjà vu plus de la moitié du continent. Il fallait quand même conserver quelques voyages organisés pour la retraite.
Après quinze mois en Europe et des aventures exceptionnelles, elle revint à Montréal. Elle fit sa demande de maîtrise à McGill, qui était plutôt une formalité. Elle se plongea dans les romans de Gabrielle Roy, car ils allaient devenir le sujet de son mémoire. Elle lut Ces enfants de ma vie et découvrit le plaisir d’enseigner. Elle trouva une vie d’autant plus épanouissante dans la simple beauté du bar du coin et des sorties entre amis le vendredi soir.
Après sa maîtrise, elle enseigna pendant un an. Mais, le désir de partir revint et elle s’acheta un aller simple pour l’Asie. Il y a des choses qui ne changent jamais.