Qu’en est-il du goût musical au XXIe siècle ? Cette question, très large, était la pierre d’assise d’un colloque, organisé par l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), qui s’est déroulé du 28 février au 2 mars dernier à la Faculté de musique de l’UdeM. Pour l’occasion, plus d’une trentaine de musicologues des quatre coins du monde étaient invités. Deux conférences ont retenu l’attention de Quartier Libre.
Première conférence: Le critique est-il toujours pertinent ?
Est-ce que le critique contribue à l’édification du goût musical de ses lecteurs ? Telle était la question posée en ouverture du colloque, le 28 février dernier. Trois critiques reconnus ont fait part de leurs réflexions sur la question.
« L’influence du critique est bien souvent surestimée. Je vois fréquemment des salles vides malgré de bonnes critiques », mentionne en début de conférence la critique de musique classique du Washington Post, Anne Midgette. Le journaliste au Voir à Montréal, André Péloquin, est de cet avis. « Le critique contribue en partie à façonner l’univers musical d’un mélomane, mais il y a plein d’autres influences qui entrent en ligne de compte », soutient-il.
Pour sa part, le journaliste musical au quotidien français Le Monde, Renaud Machart, insiste sur le rôle essentiel et toujours pertinent du critique. « Il est devant un défi de taille, celui de parler à un auditoire qui n’a pas vu ou entendu ce dont il parle, dit-il. Le critique sert à donner une opinion à ceux qui n’en ont pas. »
Internet s’en mêle
Sans s’opposer à cette vision, Mme Midgette fait état d’une autre réalité plus actuelle du métier. « En général, les gens sont réticents à donner leur avis sur la musique classique, croit-elle. Ils sont intimidés. Dans cette optique, internet est bénéfique pour eux puisqu’il provoque des échanges directs. »
À maintes reprises, on a soulevé les nouvelles tangentes qui sont imposées au métier de critique par l’éclosion du web. « Tout le monde peut être critique maintenant, indique M. Péloquin. On est devant une avalanche d’opinions, et l’édification du goût musical devient imprévisible et chaotique. Le lecteur n’est plus à la merci de deux ou de trois critiques de journaux, comme avant. »
Le rôle actuel du critique s’apparenterait donc davantage à celui d’un dépisteur de modes qu’à celui d’un dictateur de bon goût. La popularité du site américain Pitchfork en témoigne. « Ce site se consacre à voir venir la vague avant tout le monde, ajoute M. Péloquin. Si Pitchfork appose son sceau d’approbation à un artiste, tous les internautes vont aller lui prêter l’oreille, peu importe leurs préférences musicales. »
Et l’éthique ?
La longue période de questions a donné lieu à des échanges dynamiques, notamment sur l’éthique journalistique. Un journaliste peut-il critiquer l’œuvre de ses amis ? « Non », répond fermement Mme Midgette, aux prises avec un code de déontologie strict au Washington Post. De son côté, M. Machart ne se gêne pas pour le faire, même si cela comporte des risques. « Je me suis déjà fâché pendant de longues années avec des amis pour cette raison », raconte-t-il.
M. Péloquin, lui, fait part d’une particularité qu’il juge typiquement québécoise. « Vu que tout le monde se connaît, on dirait qu’on a habitué les artistes québécois à avoir de bonnes notes, peu importe notre appréciation de l’œuvre. »
Ce panel de critiques musicaux qui a attiré environ 70 visiteurs a soulevé l’intérêt d’un public de tous âges.
Deuxième conférence: L’intérêt musical des festivaliers
Même si les festivals sont nombreux au Québec, rien ne garantit un réel intérêt musical de la part des festivaliers. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme l’ont illustré deux chercheurs du projet de développement de public en musique au Québec (DPMQ) lors du colloque le 2 mars dernier.
« Les festivals ne développent pas le goût musical de la même manière. Les attitudes dans le public sont divergentes », remarque la chercheuse et bachelière en musicologie de l’UdeM Caroline Marcoux-Gendron.
Pour illustrer son propos, elle compare deux festivals de musique non occidentale : Orientalys, qui prend place au Quai Jacques-Cartier au mois d’août, et le Festival du monde arabe (FMA), qui présente des spectacles payants dans plusieurs salles à l’automne. « Les spectateurs d’Orientalys ont l’écoute distraite et ont plus tendance à socialiser entre eux. L’omniprésence de la brochure, qui présente la programmation, favorise leur déplacement, explique-t-elle. De son côté, le FMA attire un public plus attentif au spectacle. Les regards sont tournés vers la scène. »
Goût peu développé
Le chargé de cours à la Faculté de musique de l’UdeM Danick Trottier remarque ces deux attitudes opposées dans un seul et même festival, celui de musique classique de Lanaudière. « Lors des concerts extérieurs à grand déploiement, il y a deux espaces sociaux différents : le parterre et la pelouse, analyse-t-il. Le spectateur assis sur la pelouse recherche une expérience plus décontractée dans laquelle l’avant-concert est aussi important que le concert. »
Il donne comme exemple des autobus bondés de gens du troisième âge qui viennent passer une fin de semaine au festival. Le déplacement, les repas, les promenades en forêt et la socialisation y sont alors aussi importants que la programmation musicale.
Dans cette optique, tout comme pour Orientalys, le goût musical n’est pas vraiment développé. « Ça peut, tout au plus, initier un contact avec une nouvelle musique », indique Mme Marcoux-Gendron.
Les habitudes d’écoutes divergentes qui se côtoient au Festival de Lanaudière donnent parfois lieu à certains malentendus. « La musique classique a des conventions qui datent d’il y a plus de 200 ans, explique M. Trottier. Ainsi, ça crée parfois des tensions quand des gens au parterre s’allument une cigarette ou se lèvent pour aller aux toilettes, par exemple. Il y a aussi des gens qui applaudissent à chaque mouvement, ce qui ne se fait pas traditionnellement dans les salles. Ça donne lieu à des malaises : des applaudissements d’un côté et des « chut ! » de l’autre. »
Cette conférence, donnée devant une cinquantaine de personnes, a semé le doute chez certains spectateurs quant à l’approche très pragmatique des chercheurs, qui ont davantage parlé de pelouse et de brochure que de musique.