Le cabinet de Barbe-Bleue [Critique]

icone Culture
Par Antoine Brière
lundi 20 mars 2023
Le cabinet de Barbe-Bleue [Critique]
Illustration : Alizée Royer.
Illustration : Alizée Royer.
« On a oublié qu’il s’agit d’une histoire d’amour. » C’est avec cette citation, quelque peu étrange lorsque l’on connaît l’histoire de Barbe-Bleue de Charles Perrault, que l’auteur Thomas O. St-Pierre commence son essai inspiré de ce récit.

Pour rappel, ce conte pour enfants, fruit de la tradition orale des histoires à morale française, décrit la tentative de meurtre sordide d’une femme par son mari, Barbe-Bleue. Ayant outrepassé l’interdiction d’entrer dans le cabinet secret de ce dernier, elle y découvre les cadavres de ses anciennes amours, ce que son mari veut lui faire payer.

Comment parler d’amour dans de telles conditions ? Ce n’est que l’une des nombreuses surprises que réserve cet essai dense de 97 pages de Thomas O. St-Pierre. L’auteur nous replace tout d’abord le conte, tel que nous le connaissons probablement tous·tes, mais sous des angles d’approches curieux, qui ne nous viendraient pas naturellement à l’esprit lorsque nous parlons du conte de Barbe-Bleue et de sa morale sous-jacente. Et si nous oubliions l’aspect sordide du récit ? Et si nous osions ouvrir le cabinet de Barbe-Bleue ? Est-ce que les cadavres que nous y découvririons n’auraient pas un tout autre sens que celui de simples, mais d’horribles, macchabées ?

L’auteur nous livre ici une approche singulière de l’histoire en nous projetant dans la philosophie et même la psyché des protagonistes. Il nous place, et lui en premier lieu, dans la peau de Barbe-Bleue et nous offre quelques-unes des clés de compréhension qu’il a fabriquées sur mesure pour comprendre cette image du « cabinet secret ». Car oui, pour l’auteur, le cabinet n’est pas seulement la dernière pièce des pauvres femmes assassinées : il représente surtout le cœur de Barbe-Bleue et toutes ces choses enfouies en lui, qui agissent comme un repoussoir pour tous ceux à qui il ouvre son être en leur donnant la clé.

Dans l’attente de quelqu’un qui saurait le comprendre, il se débarrasse de celle qui ne l’accepte pas, en attendant celle qui le fera. Selon cet essai, le cabinet est donc notre fardeau, cette sombre pièce intérieure, qui renferme ce que nous portons de lourd en nous. La clé, c’est celle que nous donnons à la personne qui la mérite, et surtout, qui l’accepte. Le plus fascinant, c’est que St-Pierre n’agit pas en moralisateur depuis son piédestal : lui-même se livre en effet de façon inattendue et nous présente, comme un exemple de ce qu’il développe, son cabinet, ce qu’il a choisi de nous transmettre. Car la transmission, qui permet l’ouverture de celui-ci, est un point clé de cet essai. Elle est d’ordre filial ou amoureux?; elle est héréditaire et sociale. L’auteur nous livre une multitude d’explications dont nous, lecteur·rice·s, pouvons tirer nos propres leçons.

Ainsi, après de brèves explications littéraires, philosophiques et mêmes psychologiques, l’écrivain nous fait visiter des portions de son cabinet, ses défauts les plus intimes, son rapport aux autres, et, plus surprenant encore, son expérience de la parentalité. Ce serait un crime de vous livrer, en un si maigre condensé, la richesse des exemples que propose St-Pierre pour illustrer le concept du cabinet. Mais ce que vous devez savoir, c’est que l’inattendue ouverture de son cabinet offre à chaque lecteur·rice une clé vers celui-ci. Une ouverture pour transmettre à l’autre le résultat de cette expérience profonde et personnelle. Pour qu’à son tour, le lecteur ou la lectrice se livre à nouveau, s’ouvre et transmette à qui le mérite. Ce petit essai est facile à lire et surtout riche en leçons personnelles.

NOUVELLE SECTION CRITIQUE

Quartier Libre souhaite lancer une nouvelle section critique dans ses magazines, ouverte à tous·tes les étudiant·e·s de l’UdeM qui souhaiteraient y contribuer. Vous avez lu une œuvre de fiction ou un essai qui a attiré votre attention et vous voulez en faire une recension critique ?

Écrivez-nous : culture@quartierlibre.ca