Le spectacle de la science

icone Societe
Par Mohammed Aziz Mestiri
lundi 20 mars 2023
Le spectacle de la science
Illustration | Alizée Royer
Illustration | Alizée Royer
Le concours Ma thèse en 180 secondes rassemble des doctorant·e·s francophones prêt·e·s à exposer leur thèse en moins de trois minutes. Des sociologues français affirment toutefois que l’aspect spectaculaire y est davantage valorisé que la rigueur scientifique. Quel est donc l’objectif de ce concours ?

Australie, Université du Queensland, 2008. Le professeur et philosophe Alan Lawson souhaite que les diplômé·e·s de l’établissement soient en mesure de communiquer leurs travaux de recherche autrement qu’à travers les pages de leur thèse.

Le concept ? Des présentations sous forme orale et sans interruption doivent se faire en un laps de temps chronométré.

La même année, l’État du Queensland est confronté à des sècheresses sévères. Le gouvernement veut inciter la population à limiter sa consommation d’eau, surtout à la prise de la douche. À cette fin, chaque maison se voit dotée d’un sablier. Son temps d’écoulement est de trois minutes.

C’est cette durée que retiennent les organisateur·rice·s du premier concours du Three Minute Thesis (3 MT), qui connaitra un succès fulgurant malgré une organisation précipitée. La formule de 2008 atteindra une portée internationale.

En 2012, l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) obtient l’autorisation d’adapter la formule en français. Lors de son 80e Congrès annuel, elle tient la première édition du concours Votre soutenance en 180 secondes, aujourd’hui appelé Ma thèse en 180 secondes (MT180).

Chaque université participante – situées entre autres au Canada, mais aussi en Belgique, en France, au Maroc et en Suisse – procède à la sélection d’un·e candidat·e qui représentera l’établissement lors d’une finale nationale. À chacune des étapes, un panel de spécialistes évalue et délibère après les présentations pour attribuer le prix du jury.

L’auditoire procède aussi à un vote pour assigner son prix du public.

Tout comme sa formule originale australienne, le concours francophone MT180 a connu un engouement rapide de la part du milieu universitaire. Une finale internationale se déroule d’ailleurs chaque année depuis 2014, reflet d’une coopération mondiale. L’un des partenaires de l’ACFAS au sein du Comité international, l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), regroupe à lui seul plus de 1 000 établissements universitaires situés dans 119 pays.

Les présentations dans le cadre de MT180 s’adressent à un public dit « diversifié et profane ». Le jury et le public évaluent et comparent les présentations pour assigner les premiers prix. Des formations sont prodiguées par les universités membres – dont l’Université de Montréal – afin d’outiller les participant·e·s.

Le concours reçoit toutefois de vives critiques. On lui reproche d’être un spectacle de la science conçu pour plaire au grand public, alors que les budgets alloués à la recherche diminuent de plus en plus.

À la lumière de ces critiques*, trois sociologues, Jean-Marc Corsi, Jean Frances et Stéphane Le Lay, ont réalisé, en France, une enquête scientifique entre 2014 et 2017 sur le concours, dans le but de précéder à une véritable analyse. Ils font état de leurs observations dans le livre Ma thèse en 180 secondes : quand la science devient spectacle, publié en août 2021 aux Éditions du Croquant.

Plaire au public

Chaque exposé doit pouvoir être compris d’un auditoire qui n’est pas en mesure de vérifier à quel point la vulgarisation est fidèle aux faits scientifiques décrits. À cette consigne s’ajoute la variété des disciplines mises à l’œuvre dans le cadre de l’exercice, à chacune des étapes du concours.

Les sociologues ont observé que dans un tel cadre, les candidat·e·s procèdent à un travail intense d’écriture et de répétition de leur exposé, dans le but d’accrocher l’auditoire et de livrer une performance mémorable.

Étudiante au doctorat en biologie moléculaire à l’UdeM, Maria Galipeau compte prendre part à MT180 l’année prochaine, car elle passe bien- tôt son examen prédoctoral. Elle veut mettre toutes les chances de son côté pour remporter le concours. « La préparation est énorme pour réussir à se démarquer », exprime-t- elle. Comment y parvenir ? « Il n’y a pas de réponses parfaites, c’est personnel. Ça peut être par le ton de la voix, l’humour, les mots et les images », exprime la passionnée de vulgarisation.

La doctorante à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) Rebecca Cusseddu, qui étudie la prévention d’un type de cancer du sein, a participé à la sélection universitaire de l’UdeM en 2022. C’est finalement la biologiste Audréanne Loiselle qui a remporté l’étape.

Mme Cusseddu s’attendait à découvrir un « protocole de la vulgarisation » à l’atelier de formation donné par l’UdeM, avec des directives plutôt que des conseils. « Il était recommandé de donner le « punch » dès le départ, se remémore-t-elle, mais j’ai finalement adopté la structure classique de l’introduction suivie de la conclusion ». La chercheuse estime que les personnes avec « une prestance scénique » ont les meilleures chances de captiver le public et de gagner.

Ce constat n’est pas sans faire écho à un autre constat des sociologues : les organisateur·rice·s, lorsqu’ils décrivent le profil idéal du concours, valoriseraient les habiletés théâtrales plus que la capacité à vulgariser des énoncés complexes.

Sur sa chaine secondaire Sci+, Viviane Lalande traite des techniques de la vulgarisation scientifique en tant que telle. Photo | Courtoisie | Viviane Lalande

Un exercice de forme

Pour le responsable de la tenue du concours à l’UdeM, Clément Arsenault, MT180 est un concours oratoire servant à apprendre « comment accrocher un auditoire ». Le vice-recteur aux études supérieures et postdoctorales reconnait que ce ne sont pas tous les sujets qui ont la même difficulté à captiver l’auditoire. « L’année dernière, nous avons décerné une mention spéciale à un étudiant en informatique théorique, car il a fait très bonne figure même s’il n’a pas gagné » relate-t-il.

La sélection institutionnelle de l’UdeM se tiendra le 16 mars. C’est une dizaine de doctorant·e·s qui sont en lice pour représenter l’Université à la finale nationale de l’ACFAS, prévue le 10 mai. La constitution du jury de la sélection universitaire de l’UdeM, composé de cinq membres, s’effectue dans un souci de variété des expertises non seulement scientifiques, mais aussi communicationnelles. « Il y a deux-trois personnes qui ont une formation doctorale, et on recherche également des profils qui ont de l’expérience en présentation rhétorique, en mise en scène et en journalisme scientifique », décrit M. Arsenault.

Un roulement est effectué d’année en année, pour inclure des professeurs des sciences exactes et des sciences humaines, en privilégiant les départements qui n’ont pas de candidatures au MT180.

La directrice générale de l’ACFAS, Sophie Montreuil, appuie que MT180 a pour vocation d’attirer le public le plus vaste possible. Le jury « n’a pas à se prononcer sur la méthodologie et l’approche » des thèses présentées, mais plutôt « la qualité et la clarté de la prestation ».

La véracité scientifique des présentations est garantie selon elle grâce à la succession des étapes de sélection jusqu’à la finale internationale, et repose sur une confiance implicite. « Un finaliste qui se présenterait avec un sujet de recherche ne tenant pas debout ferait ombrage à lui-même, à sa discipline et à son établissement », avance la directrice de l’association.

Sciences et théâtre

Viviane Lalande a gagné le prix du jury à l’issue de la première finale nationale, en 2012, avant que ne soit créé la finale internationale. Elle estime que la vocation de MT180 a changé depuis. « La priorité était la qualité de la vulgarisation et la formation des étudiants à la communication scientifique », avance la titulaire d’un doctorat de Polytechnique Montréal.

Elle a aussi pris part au concours à titre de membre du jury, lors de l’édition nationale de 2016. C’est là qu’elle s’est rendu compte qu’une même présentation n’est pas vue de la même façon par chacun·e. « Même avec une grille, on a ses sensibilités et son feeling, que ce soit la vulgarisation en soi, la pertinence sociale du sujet ou la fluidité de la parole, analyse-t-elle. Mon dernier choix était premier pour un autre ».

L’enseignante en vulgarisation à Polytechnique Montréal remarque que plusieurs candidat·e·s du concours – tout comme ses étudiant·e·s – vulgarisent moins leurs travaux que le contexte de leur recherche. « On n’est jamais la première personne à vulgariser le contexte, mais on est la première à vulgariser sa recherche, constate-t- elle. Et ça, c’est sacrément difficile. »

La créatrice de la chaine Youtube Scilabus trouve que l’attrait du public vers les sciences est désormais le principal objectif de MT180. « L’importance est maintenant placée sur la forme plutôt que le fond, estime la lauréate. Les présentations ont tendance à avoir beaucoup de points communs avec le théâtre et le stand-up, où occuper la scène est tout un art ». Elle reconnait toutefois que l’attrait de MT180 auprès du public est grandement aidé par la théâtralisation des sciences.

Cette vocation tournée vers le grand public a néanmoins été au cœur du projet d’adaptation de la formule au monde francophone. Conseillère au Bureau du scientifique en chef du Québec, Julie Dirwimmer a fait partie du comité organisateur du 80e Congrès de l’ACFAS.

« Le concours est véritablement l’histoire d’une personne qui raconte ce qu’elle fait dans sa vie, appuie la titulaire d’un master en communication scientifique de l’Université de Strasbourg, on est dans un spectacle où la personne se livre à son public ». Elle estime meme que MT180 ne livre pas le meilleur spectacle possible par rapport à ses attentes initiales. « J’aurais aimé qu’on soit plus dans les histoires et moins dans la vulgarisation, pour assumer plus une volonté culturelle », reconnait-elle.

Julie Dirwimmer pratique aussi le slam de poésie, sous le nom de scène Madame Cosinus. Si le slam met en concurrence plusieurs artistes, la sélection d’un·e gagnant·e n’a aucune importance. « Dans le milieu, on choisit complètement au hasard le jury parmi le public, décrit-elle. On assume que c’est complètement injuste, pour envoyer le message que gagner n’a aucune importance ». La slameuse a voulu que ce même état d’esprit de coopétition** traverse MT180, l’idée étant « de se dépasser tous pour livrer le meilleur spectacle ensemble, peu importe qui est premier ».

Tout comme Viviane Lalande, elle estime que la préparation d’une présentation orale de trois minutes est essentielle à tout scientifique souhaitant s’exprimer à titre d’expert dans l’espace public. « En entrevue à la radio, c’est trente secondes pour répondre à une question, et on se fait couper si on dépasse, compare-t-elle. Trois minutes, c’est un exercice de base ».

* À titre d’exemple, le texte d’opinion « Attaque frontale contre « Ma thèse en 180 » », dans le quotidien suisse Le Temps, publié le 17 octobre 2016. Il a lui-même été cité dans l’article « Ma thèse en 180 secondes : La visibilité comme instrument d’oppression symbolique », signé Vincent Mariscal, publie? en 2019 dans le 48e numéro de la revue Savoir/Agir.

** Mot-valise issu des termes « compétition » et « coopération », pour décrire des collaborations dans un environnement concurrentiel.