Le système éducatif scandinave fait figure de modèle dans le monde entier, notamment en raison de la gratuité scolaire. Cité comme exemple lors du Printemps érable par les grévistes, le modèle scandinave peut-il réellement s’appliquer au Québec ?
« En Finlande, l’État met tout en place pour que les jeunes se concentrent sur leurs études et ne pensent pas qu’à l’argent», déclare l’ancienne étudiante de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’UdeM, Marie-Josée Proulx St-Pierre, qui, en 2011, a passé quatre mois lors de sa deuxième année de maîtrise à l’Abo Akademi de Turku, en Finlande.
Les pays nordiques que sont la Suède, la Norvège, la Finlande et le Danemark offrent une éducation gratuite à tous leurs citoyens. Les élèves n’ont donc aucuns frais de scolarité à débourser pendant leurs études, du préscolaire à l’université. «Si on estime que l’éducation est démocratique au Québec, elle l’est encore plus en Suède », explique l’ancien étudiant en relations internationales en échange à l’Université de Stockholm, en Suède, de 2010 à 2011, Paul Mailhot. «Tous les étudiants, quel que soit le revenu des parents, bénéficient d’une subvention du gouvernement d’environ 300 $ par mois.» Tout n’est pas forcément exemplaire dans le système universitaire suédois. «Les professeurs sont moins disponibles, et puis, les évaluations ne sont pas commentées, poursuit-il. Un professeur m’a même répondu qu’il n’avait pas le temps pour ça et que si je n’avais pas passé le cours, je pouvais toujours le reprendre, car c’était gratuit. La qualité a un prix!»
Faisable, mais coûteux
Le chercheur à la Chaire de recherche du Canada en économie politique internationale et comparée (CRÉPIC) de l’École nationale de l’administration publique (ÉNAP), Benjamin Bélair, estime qu’un enseignement gratuit est possible au Québec. «Comme en Suède, il est possible d’avoir un système universitaire financé intégralement par l’État, explique-t-il. Il suffirait de transférer de l’argent d’un poste budgétaire à un autre ou d’augmenter les prélèvements fiscaux.La question est de savoir si cela serait juste, équitable, efficace ou possible.»
Transposer le modèle universitaire scandinave dans son ensemble au Québec ne serait pas aussi simple. La théorie et la pratique sont deux réalités différentes pour M. Bélair. « On peut se demander si le contexte québécois permettrait une telle transposition, ajoute-t-il. Car le modèle scandinave actuel est le résultat de réformes administratives qui ont été appliquées à l’ensemble de l’État et de ses services, et non pas seulement à l’éducation.» En effet, les pays nordiques ont entrepris, dans les années 1990, des réformes fondamentales et structurelles en raison d’une forte récession consécutive à la désintégration du bloc soviétique, leur principal marché économique. La santé, le travail et l’éducation ont été les principaux domaines réformés dans un souci d’efficacité et d’égalité.
Mais, la gratuité de l’éducation dans les pays nordiques comporte un coût, financé par des impôts élevés et des entreprises privées très impliquées dans la recherche. «Comme aux États-Unis, les entreprises privées représentent une grande part du financement de la recherche en Suède », soutient le titulaire de la CRÉPIC et professeur à l’ÉNAP, Stéphane Paquin. « Paradoxale – ment, le plus grand blocage au Québec, c’est la gauche. Le gouvernement veut taxer les riches, alors qu’en Suède, c’est la consommation qui est taxée. Ce sont donc les classes moyennes qui sont les plus imposées, et non les entreprises suédoises, qui s’engagent à redistribuer les richesses en échange.»
Le poids de la culture
Le succès du modèle éducatif scandinave s’explique également par des raisons culturelles. L’exporter dans une culture différente, comme celle du Québec, ne donnera pas les mêmes résultats. «Il faudrait une rééducation depuis la tendre enfance pour que le Québec réussisse à fonctionner comme les Suédois, à accepter de payer des impôts très élevés», pense l’ancien étudiant en géographie environnementale en échange à l’Université de Lund, en Suède, de 2010 à 2011, Vincent Rodrigue. «Le peuple suédois obéit aux règles et a une conscience plus aiguisée de l’importance des institutions qu’il s’est lui-même donné, gages du bon fonctionnement de son système. Les Scandinaves sont tout simplement plus entraînés que nous à la social-démocratie.»
Importer le système éducatif scandinave représenterait donc un véritable défi politique, économique et social pour le Québec. «Le modèle entier ne peut pas être exporté, explique le Directeur général du Centre pour la mobilité et coopération internationales (CIMO) d’Helsinki et spécialiste finlandais de l’éducation, Pasi Sahlberg. C’est une erreur commune, de nos jours, de croire qu’un système éducatif peut être imité d’un pays à un autre.» Selon M. Bélair, il est important que le Sommet sur l’enseignement supérieur soit pris au sérieux. « Si on veut un système à la suédoise ici, tous les acteurs qui gravitent autour du monde de l’éducation devraient s’entendre sur de nouvelles finalités et accepter de faire des sacrifices pour y parvenir», insiste-t-il.
Pour M. Sahlberg, le Québec gagnerait à importer certains éléments du modèle scandinave. «Je pense réellement que certains aspects du système de l’éducation finlandaise peuvent être une source d’inspiration pour le Québec», estime-t-il. Un jugement que partage Mme Proulx St-Pierre. «Nous pourrions importer l’appui inconditionnel du gouvernement aux étudiants et la reconnaissance de la charge de travail que des études exigent, avance celle qui souligne également le côté méritocratique du système scandinave. « Les Finlandais sont soignés par les meilleurs médecins, et non pas par ceux dont les parents ont pu les soutenir financièrement.»