Je sortais de chez moi, ce matin-là, avec un petit fond de tristesse qui accompagne souvent le sentiment de la finitude.
J’avais l’impression d’avoir fait le tour, d’avoir usé mes souliers et mon inspiration dans les flâneries quotidiennes qui étaient miennes. Avais-je toujours bien fait ? Je n’aurais su le dire, mais j’avais fait quand même.
Désormais, ma tête était vide comme la page blanche d’un poète abandonné par les muses.
Dehors, l’hiver bandait mou. Le froid venait plus en ami qu’en amant violent et les chutes de neige se faisaient encore attendre. La devanture des magasins était ornée de guirlandes et d’autres bidules du temps des fêtes. Une odeur de matin de Noël flottait dans l’air.
J’avais tout prévu. J’irais m’asseoir dans un parc. Chaque chanson qui jouerait dans mon MP3, j’essaierais d’y associer des évènements de l’année. Je peaufinais ma stratégie en marchant, perdu dans mes pensées.
Comme le philosophe qui tomba dans un puit en contemplant le ciel, j’heurtai une demoiselle qui avait peut-être mon âge. Elle le prit mal. Elle me traita de tous les noms et me fit la leçon sur les bonnes manières. Elle avait raison, je ne bronchai pas, sauf pour lui dire que la tolérance devrait des fois prendre le pas sur le bon sens.
Enfin, je n’allais pas compromettre ma journée pour une telle peccadille.
Je m’installai sur un banc en bois. Le parc avait l’air plus grand que d’habitude. Peut-être parce que j’étais le seul à occuper l’immense espace. Je mis mon appareil en mode aléatoire.
Mylène Farmer entonna « Désen – chantée». Sur un rythme cadencé, je voyais défiler une horde de jeunes gens, les poings levés aux cieux, crachant leur mécontentement. «Tout est chaos ! », deux cent mille personnes dans les rues pour dénoncer une trahison. Les slogans au vent, le rouge sur les coeurs, une génération désenchantée s’exprimait.
Suivit alors une ordinaire chanson de Noël. On raconte aux enfants que le père Noël récompense les petits enfants sages. Moi, je voyais certains de ces petits êtres, le dos tourné au rêve et à l’espoir, qui savent dès leurs premiers pas qu’ils ne verront jamais Saint-Nicolas.
Dalida chantait «Mourir sur scène». Elle me rappela que la fin du monde serait cette année. Je ne voudrais pas mourir sur scène, surtout pas devant les projecteurs. Je voudrais mourir seul à l’ombre des peupliers, là où le vent ne me fera pas entendre les plaintes de ma mère, là où je pourrais me cacher dans la brisure du temps pour que jamais mon souvenir ne soit évoqué.
Pendant que je m’amusais à ce petit jeu, je revis passer la demoiselle que j’avais offensée. Elle marchait fièrement, la tête haute, avec la vanité de ceux qui souffrent d’un excès d’assurance. Par quel hasard, je ne savais, elle trébucha tout d’un coup sur un morceau de bois et finit au sol. Est-ce la honte ou la douleur qui la maintenait couchée sur le trottoir ? La souffrance est cette vertu qui humanise l’esprit mécanique des hommes les plus intelligents.
Elle se releva finalement et, oh ! inconstance humaine, vint s’asseoir à côté de moi non sans me défier du regard auparavant. Décidément, j’avais affaire à une originale. Nous restâmes silencieux et immobiles comme des pins dans le matin boréal. Puis je lui demandai son nom. Elle s’appelait Olive. Quel joli nom que c’était, Olive. Nous étions désormais deux à occuper l’espace qui pour le coup perdit de son immensité à mes yeux. C’était étrange, au diable les peupliers ! Je n’avais plus envie de mourir.