Grève, boycott, carré rouge, casserole, printemps érable, gratuité scolaire : ces mots ont marqué le conflit étudiant. Alors qu’un collectif de 98 auteurs vient de publier le Dictionnaire de la révolte étudiante, retour sur les mots qui ont exprimé les maux de la cause étudiante.
Si le conflit étudiant a suscité des affrontements d’idées et d’arguments, il s’est également cristallisé sur le plan du langage. Ce qui fait dire à l’économiste Ianik Marcil, qui a contribué au dictionnaire (voir encadré), que le langage a joué un «rôle majeur» lors de la grève étudiante. «Le vocabulaire devient un outil de marketing ou de propagande dans le jeu médiatique et politique », souligne- t-il.
Grève ou boycott ? La lutte que le mouvement étudiant et que le gouvernement ont livré autour de ces deux termes montre la puissance des mots. « La plus importante des guerres de mots a été celle entre boycott et grève, tout le monde a joué avec les mots », précise M. Marcil. Pour la codirectrice du collectif qui a rédigé le dictionnaire, Mariève Isabel, «le gouvernement a cherché à discréditer les étudiants et à leur enlever de la légitimité en parlant de boycott plutôt que de grève alors même qu’il a toujours parlé de grève dans le passé».
Le rhétoricien et professeur à l’Université de Carleton, Stuart J.Murray, explique les réticences à utiliser le mot « grève». « Les étudiants n’ont pas le droit à la grève, les étudiants ne sont pas des ouvriers, mais voulaient quand même contester les conditions de leur travail. Utiliser le mot grève est donc un détournement de sens efficace», affirme-t-il .
Le gouvernement n’a pas été le seul à jouer sur les mots. «On a vu à certains moments que les étudiants parlaient une langue qui a eu pour effet de déstabiliser le langage néolibéral et corporatiste », affirme M. Murray. Les étudiants ont, par exemple, utilisé le terme de «gratuité scolaire». Un mot qui gêne M. Marcil. «Quand on parle de gratuité scolaire, ça chicote l’économiste en moi, car ce n’est pas gratuit. L’argent vient de quelque part, explique-t-il. Il faudrait parler d’accessibilité sans frais ou d’accessibilité universelle.»
Exagérations
Au-delà du choix même des mots, leur sens a également été exagéré.« Plusieurs mots ont été utilisés comme des armes particulièrement par l’un des deux côtés [le gouvernement]», estime le chroniqueur de La Presse, Marc Cassivi.
Celui qui a rédigé la définition de l’article «intimidation» dans le dictionnaire soutient que le gouvernement libéral a employé ce terme beaucoup trop librement. «Il y avait certainement une exagération quand la ministre de la Culture, de Communications et de la Condition féminine Christine St- Pierre, a affirmé que porter un carré rouge était une forme d’intimidation, et que ceux qui le faisaient étaient anarchistes ou extrémistes », pense-t-il. Mais le gouvernement ne serait pas l’unique coupable. «Il y a aussi eu des accusations de fascisme à l’égard du gouvernement», tempère le chroniqueur.
Les mots n’ont pas seulement servi à diviser. « Ils ont eu un effet rassembleur très positif parmi les étudiants, affirme Mme Isabel. Nous avons présenté les choses comme un projet collectif, ce ne sont pas juste des mots, ce sont des concepts. Il y a maintenant énormément de symbolique associée à des termes comme casseroles, “casserolistes” et “casseroleurs”.» Le mouvement étudiant franco-québécois s’est approprié un vaste vocabulaire, mais il a été difficile de le traduire en anglais tout en maintenant le même impact. Ce constat expliquerait la motivation moins élevée des étudiants des universités McGill et Concordia et dans le reste du Canada. « Des termes comme printemps érable, carré rouge ou casserole n’ont pas le même sens en anglais. Traduire des mots c’est aussi traduire des idées, ainsi Maple Spring et Red Square n’ont pas la même signification en anglais», explique Mme Isabel. Une position que nuance M. Murray .
« Les différences entre les deux solitudes sont aussi sociologiques, culturelles et historiques. Elles portent sur la langue, elles s’expriment dans la langue, mais elles ne naissent pas du langage tout simplement», assure-t-il. Il considère donc qu’il faut faire attention à ne pas «essentialiser» ou «naturaliser » les différences entre deux peuples, comme si ces différences étaient naturellement issues d’une différence linguistique.
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LE PRINTEMPS ÉRABLE EN DÉFINITIONS
118 termes caractéristiques du soulèvement étudiant définis par 98 auteurs, c’est ce que propose le Dictionnaire
de la révolte étudiante. Un ouvrage collectif qui est né de la volonté d’apporter des éclaircissements sur des
mots emblématiques du printemps 2012. Parmi ces termes, «grève, boycott, loi 78, entente de principe, droite,
gauche, négociation, judiciarisation, idéologie», cite la codirectrice du dictionnaire, Mariève Isabel. «Le dictionnaire
cherche à renverser la vapeur, car, pendant la grève, les sens de plusieurs mots ont été réinventés», affirme l’économiste Ianik Marcil, qui y a contribué.
Oscillant entre un ton parfois sérieux et parfois humoristique, le dictionnaire est résolument engagé. «C’est un
livre qui prend position pour les carrés rouges et nous avons choisi des contributeurs en conséquence»,
dit-elle. Un travail qui, pour Mme Isabel, ne doit pas être réduit à son parti pris. «Nous avons voulu réfléchir au
sens des mots», assure-t-elle. Elle tient d’ailleurs à souligner l’apport diversifié des contributeurs. «Parmi les
98 auteurs, il y a 24 étudiants, 24 professeurs, des journalistes, un avocat, un médecin.»
Dictionnaire de la révolte étudiante, sous la direction de Mariève Isabel et Laurence-Aurélie Théroux-Marcotte, éditions Tête première, 18,95 $.