Campus

(Crédit photo : Pascal Dumont)

Une journée en aviron

L’aviron est un sport habituellement associé aux universités anglo-saxonnes. Pour la cinquième année, le Club d’aviron de l’UdeM  tente de s’imposer face aux autres universités québécoises dans un des sports les plus gracieux qui soient. La routine d’entraînement est pourtant ardue. Découvrez le matin typique d’une rameuse.

(Crédit photo : Pascal Dumont)

Audrey Giguère se lève à 5h10. Elle se fait un shake de lait de soja et de protéines. Dix minutes plus tard, elle est dans sa voiture. Elle boit son mélange en conduisant. Cela lui prend une vingtaine de minutes pour aller de Saint-Bruno-de-Montarville au Bassin olympique de l’île Notre-Dame. Elle vient de Saint-Hyacinthe, mais habite chez sa tante à Saint-Bruno.

« Je ne me suis jamais levée tôt, explique Audrey. Je déjeune habituellement après l’entraînement. C’est le premier sport que j’aime faire. C’est juste dur d’ouvrir les yeux le matin.» Audrey arrive au hangar numéro 5 du Bassin olympique à 5 h 45. Elle étudie à temps plein depuis 2007 et entame sa dernière année d’études en relations industrielles. Elle a déjà obtenu deux certificats.

Audrey Giguère en plein extension. On reconnait l’entraîneuse du huit féminin Véronique alix qui les suit en vélo. (Crédit photo : Pascal Dumont)

À 6 heures, Audrey et une coéquipière décrochent les rames. Celles-ci font plus de deux mètres et chacune est numérotée selon sa position dans le bateau. En ce vendredi matin de septembre, il fait encore nuit. Il vente. Les nuages sont gris. Le ciel est mauve et vire tout doucement au bleu clair électrique. Ce matin, il fait entre 12 et 14 °C. «Au début de la semaine, il faisait 4 degrés. Nous étions gelées jusqu’à ce qu’on bouge», se rappelle Audrey.

L’extrémité du bassin se perd dans l’obscurité. Plus de cinquante étudiants s’activent à sortir des bateaux. McGill a huit équipes qui s’entraînent ce matin. L’UdeM, deux. L’équipe de McGill existe depuis 1927 tandis que celle de l’UdeM entame sa cinquième saison.

Une femme s’approche en vélo, un microphone à la main. C’est Véronique Alix, l’entraîneuse du huit féminin. Diplômée en physiothérapie depuis l’année dernière, c’est sa première année comme entraîneuse. L’entraîneur-chef du club d’aviron, Guillaume Callonico, arrive ensuite. C’est lui qui a offert à Véronique l’occasion d’entraîner le huit féminin.

Elle a accepté immédiatement. La dernière expérience de sport d’Audrey remonte au secondaire. « J’étais assidue au secondaire. Je faisais du soccer. Avant ça, j’ai fait de la gymnastique. À l’université, j’ai arrêté de faire du sport. Je voulais jouer pour les Carabins au soccer, mais ça n’a pas fonctionné.»

Le bateau est composé de huit rameuses et d’une barreuse. (Crédit photo : Pascal Dumont)

Début août, Audrey a reçu un courriel de Guillaume qui invitait les étudiants à joindre le Club d’aviron. Quand elle voit qu’aucune expérience n’est demandée, elle craque. «Je me suis dit “Crime, c’est ma chance!” » La semaine suivante, elle assiste au camp d’initiation de quatre jours. Le vendredi, c’est le test de puissance sur une machine à ramer, l’ergomètre. C’est un bac à ramer. Comme sur un vrai bateau, chacune des filles doit tout donner sur une simulation de 500 mètres. « J’ai fait un temps de 2 minutes.» Deux de ses coéquipières ont fait respectivement 1 min 52 sec et 1 min 56 sec. Son temps est assez bon, car elle apprend le lendemain qu’elle est sélectionnée comme une des huit rameuses sur 25 candidates. « Je n’étais pas surprise. J’ai toujours été forte des jambes et je savais que mon corps allait bien réagir.» Les jambes sont aussi importantes chez une rameuse que les bras : assise sur un banc mobile, elle pousse avec ses jambes pour aider son coup de rame.

Sept filles et un gars s’alignent en dessous d’un bateau accroché au mur. C’est que trois filles sont parties en voyage pour une semaine. Les deux remplaçantes choisies n’ont pas suffi, et un remplaçant de l’équipe des gars est venu dépanner. « En aviron, il faut que tout le monde se présente le matin, sinon personne ne fait l’entraînement. C’est une motivation de plus. Ça donne un coup de pied», explique Audrey. «À mon signal, 1-2-hop!» Ils soulèvent le bateau au-dessus de leur tête, font un pas de côté, et ramènent le bateau au niveau de leurs hanches. À 25 ans, Audrey est la doyenne de son équipe. La plus jeune, Léa, a tout juste 19 ans.

À 6 h 20, le bateau est à l’eau. L’entraînement commence par un exercice carré : les filles doivent ramer avec leur pelle (l’extrémité de la rame qui pénètre dans l’eau) toujours perpendiculaire à l’eau. Véronique Alix suit le bateau à partir de la rive, en vélo, criant des ordres à l’aide d’un mégaphone. Guillaume le suit à bord d’un bateau à moteur. « Cet exercice sert à pratiquer l ’équilibre, explique-t-il. Ça demande aussi beaucoup de concentration. Les pelles prennent dans le vent, mais elles se débrouillent pas mal.» Après coup, Audrey a une vision un peu différente. « La rame au carré, c’est notre pénitence. C’est difficile.»

Les filles ramènent le bateau à quai. (Crédit photo : Pascal Dumont)

Les filles ont terminé les deux premiers kilomètres. Elles longent le bord et repartent pour deux autres kilomètres, cette fois-ci à un rythme régulier. Une fois parti, notre bateau a de la difficulté à les suivre. «C’est fou!» dit Guillaume. Une équipe de novices comme elles atteignent les 14-15 km/h.

Le soleil se lève du côté gauche du bassin. On aperçoit mieux les filles. Audrey est tête nue et en camisole. Au premier coup d’oeil, les coups de rames des filles sont synchronisés. Mais à bien y regarder, des imperfections apparaissent. Certaines rames rebondissent sur l’eau. D’autres remontent beaucoup trop haut. Trop bas. Les rameuses doivent réajuster leur coup de rame chaque fois. Si une fille dans le bateau monte trop haut, ça déséquilibre le mouvement de toutes les autres filles. C’est un processus constant d’autoajustement.

«Ça fait seulement deux semaines et demie qu’elles s’entraînent, explique Guillaume. C’est le meilleur bateau qu’on a depuis cinq ans chez les novices. Mais ne leur dis pas. Même si elles n’ont pas d’expérience en aviron, elles sont déjà habituées à apprendre des techniques et à les appliquer. Il faut qu’elles gardent en tête qu’il y a de la compétition.» Audrey a hâte à la compétition de Trent (voir encadré). « J’ai hâte de voir toutes les équipes. Je n’ai pas d’objectif… à tout le moins, terminer dans les dix premières.»

Audrey est grande, elle mesure 5 pieds 8 pouces. C’est d’ailleurs le critère physique de base pour tout rameur. Il faut aussi être bien bâti. Contrairement à d’autres sports, presque tous les rameurs commencent l’aviron une fois à l’université. Former un athlète olympique prend 10 ans selon Guillaume. Les rameuses franchissent le bassin encore une fois.

Audrey est la sixième rameuse. On compte les rameuses à partir de l’avant du bateau. Elle fait partie de celles qui ont le plus de puissance et permet de faire avancer le bateau. Celles en septième et huitième position (aussi appelées nageuses) ont pour tâche de donner la cadence et, en fin de course, elles doivent être capables de l’accélérer. Guillaume et Véronique crient à répétition : « Let’s go, les filles ! ».

Guillaume les encourage : «Il y a du vent pour vous aider à aller plus vite. Je prépare ma pelle. Allez ! Préparation de pelle!» La barreuse Myriam crie : « Plus fort les jambes!» La barreuse, c’est celle qui est installée à l’arrière du bateau, sans rame. Elle dirige le bateau avec un gouvernail. Elle est la seule autorisée à parler sur l’eau. Audrey le sait, mais elle reconnait que, des fois, elle sacre quand même.

Le travail manuel est dur. (Crédit photo : Pascal Dumont)

Il reste 500 mètres au bassin. «On va monter la cadence à 28. On est plus rapide dans l’eau. Vous voulez être plus rapides», crie Guillaume. Vingthuit coups par minute, c’est un rythme optimal pour des novices. Une équipe plus expérimentée est  capable d’augmenter la cadence jusqu’à 36. Les souffles sont courts chez les filles. L’effort semble palpable. «Elles sont fatiguées», me chuchote Guillaume avant de crier : «Let’s go, les filles ! Il reste 250m.»Myriam crie : «1-2-3-4-5-6-7-8-9-10. Plus fort, on lâche pas!» Pour la première fois, les filles ont maintenu une cadence de course pendant 6 km. «J’étais fatiguée vers la fin, explique Audrey. Mais c’était motivant.» 

À 7h30, l’entraînement est terminé. Les filles remontent le bateau sur la rive et l’installent sur des trépieds. Elles le lavent avec un jet d’eau. Après deux semaines et demie d’entraînement, les effets sur le corps se font sentir. « Je sens mes jambes, mes bras, mon dos, mes abdos, énumère Audrey. Je me suis rendu compte que je m’asseyais croche. J’ai une meilleure posture maintenant. Je suis aussi plus de bonne humeur.»

Point de vue horaire, Audrey travaille en ce moment deux jours par semaine. Avec la rentrée, elle ajoutera cinq cours par semaine à ses cinq matins d’entraînement. « La grève m’a aidée à inclure l’aviron à mon horaire», reconnaît-elle. En attendant, c’est le repos. «Je vais écouter un film et faire une sieste. Je me couche à 22 h 30 au plus tard. J’ai besoin de mes huit heures de sommeil.»

Une douzième place

Les novices du huit féminin ont terminé douzième (sur 16) à la compétition Head of the Trent du 29 septembre dernier.  Les rameuses ont parcouru les 5 km en un temps de 16 minutes 20 secondes. L’Université Trent a gagné la course avec un temps de 14 minutes 56 secondes.

Partager cet article