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Lettre : Témoins à charge

Manifestation contre la brutalité policière, place Émilie-Gamelin, Montréal, jeudi 15 mars, 17h15

En 2011, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), dont le mandat est de protéger et de servir les citoyens, a su se démarquer dans les médias par le nombre élevé d’incidents impliquant ses membres. «Incidents» mortels pour Patrick Limoges et Mario Hamel, l’été dernier, puis Farshad Mohammadi, à l’automne. Ces jours-ci, c’est Francis Grenier qui fait la manchette, gravement blessé à l’œil par une grenade assourdissante il y a quelques semaines. On se doute bien que ces tragédies ne traduisent pas une volonté délibérée du corps policier. Mais, que celui-ci soit mal informé, mal formé ou simplement débordé, il n’en demeure pas moins qu’en 2011, on a atteint un nouveau record : 22 personnes auraient été tuées ou blessées par des policiers au cours de l’année.

Devant cet état des faits, nous, mon ami Baptiste et moi, avons choisi cette année de participer à la manifestation contre la brutalité policière ; il était indispensable à nos yeux de saisir l’occasion pour démontrer notre indignation face à ces incidents qui se multiplient, face au silence qui les suit et face au manque de volonté politique de les soumettre à des enquêtes réellement indépendantes.

Ainsi, en arrivant au point de rendez-vous, nous constatons que les manifestants sont nombreux… beaucoup plus nombreux, à mon souvenir, que lors des éditions précédentes de l’événement. La foule s’étend sur la place Émilie-Gamelin : nous sommes des milliers, et quelques-uns sont cagoulés. La présence policière aussi se fait imposante. Les policiers, casqués, circulent par groupes.

Ils étaient près de 2 000 à manifester dans le centre-ville de Montréal. Plus de 200 ont été arrêtés. (Crédit : Pascal Dumont)

 

Vers 18 heures, la marche débute. Nous choisissons de marcher aux côtés de la fanfare, qui donne un air festif à l’événement. Les manifestants marchent à un rythme assez soutenu. Nous choisissons de marcher à notre propre rythme, ce qui fait que nous nous éloignons peu à peu de la fanfare, nous rapprochant de la queue du peloton. Nous tournons rue Sherbrooke et croisons des automobilistes un peu surpris par ce petit arrêt forcé puisque les manifestants ont « pris » la rue, dans le vrai sens du terme. Les conducteurs rencontrés semblent tout de même favorables à notre cause.

Nous ne sommes témoins d’aucune forme de provocation de la part des manifestants, ce qui, évidemment, n’écarte pas la possibilité qu’il y en ait eu. Seul le nombre imposant de policiers anti-émeutes nous rappelle la triste réputation de cet événement. Peu de temps après (18 h 22 pour être plus exact), des manifestants nous rejoignent en courant vers l’avant du peloton. D’autres leur crient : « Ne courez pas, ne courez pas ! Les policiers cherchent à densifier le groupe. » Mais la police nous charge et c’est dur de rester calme. Plusieurs personnes sont effrayées et tentent de s’enfuir. La tension monte. En quelques minutes, la police nous charge plusieurs fois, puis tente de diviser le groupe en deux blocs. Nous choisissons d’aller sur Aylmer plutôt que de rester sur Sherbrooke. En empruntant cette petite rue, nous faisons le pari que les policiers vont peut-être nous laisser partir calmement… Après tout, en allant dans cette direction, nous quittons le contingent principal ! Nous pourrions tranquillement rentrer chez nous.

Erreur de jugement, ainsi que le révèle la suite des événements ! Un groupe de policiers nous poursuit pour continuer de nous charger. La tension monte encore d’un cran. La rue est étroite et il y a plusieurs autos stationnées, ce qui ne facilite pas la fuite des manifestants. L’effet entonnoir fait qu’il est difficile de réussir à fuir les policiers sans bousculer les autres manifestants qui courent moins vite que nous. Nous sommes coincés. Les policiers sont maintenant à seulement quelques mètres derrière nous. Nous courons tous en cadence, manifestants devant, policiers anti-émeutes derrière, quand nous voyons un objet arriver à la hauteur de nos têtes, puis une boule de feu juste avant que retentisse un bruit assourdissant. Nous sommes abasourdis. Nous ne comprenons pas ce qui vient de se passer. « Ça » recommence quelques secondes plus tard. Nous comprenons enfin de quoi il est question. C’est la fameuse arme que les policiers ont depuis peu intégrée à leur arsenal anti-manifestants : les grenades assourdissantes. C’est la panique ! Elles explosent juste à côté de nous alors que nous n’avons aucun moyen de nous enfuir. À la troisième explosion, un garçon qui courait un peu à ma gauche hurle et se tord de douleur. La bombe a explosé juste à côté de son oreille.

Finalement arrivés rue Milton, nous changeons de direction et échappons enfin aux attaques des policiers.

Nous quittons cet événement assaillis par une foule d’émotions, mais surtout avec la conviction qu’il est crucial de dénon- cer la brutalité policière. Nous n’avons jamais entendu les appels de la police invitant les manifestants à partir lorsque la manifestation a été déclarée illégale. Alors que nous manifestions pacifiquement, nous avons été chargés violemment par les escouades anti-émeutes. Les policiers ont fait un usage immodéré et non-sécuritaire de leur nouveau joujou : les grenades explosaient dans une foule compacte, prisonnière et, surtout, à la hauteur de nos têtes.

Pourquoi, aussi, avoir déclaré la manifestation illégale alors que les manifestants qui nous entouraient ne semblaient avoir commis aucun délit ? Au nom de la sauvegarde de quel « ordre » les policiers abusent-ils de leur force ? Cette nouvelle démonstration de brutalité démontre, encore une fois, l’importance de la dénoncer. Comment obtenir la tribune qui nous permettrait d’être entendus sur cette question ? Non seulement les pratiques policières (profilage racial, profilage social, arrestations de masse, agents provocateurs dissimulés dans les foules, etc.) ont de quoi soulever des questions, mais les policiers disposent de plus en plus de moyens pour contrôler ceux qui oseraient s’insurger contre leur pouvoir.

Nous avons choisi d’aller manifester dans le but de dénoncer la brutalité policière en pensant que les nombreux incidents impliquant le SPVM cette année auraient un effet sur le déroulement de la manifestation ainsi que sa couverture médiatique. Or les médias ont préféré encore une fois se concentrer sur les actes de violence perpétrés par une minorité de manifestants plutôt que d’exposer les vraies raisons pour lesquelles 5 000 citoyens s’indignaient ce jour-là.

Marie-Christine Brossard-Couture, étudiante à la maîtrise en sociologie à l’UdeM

 

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