Volume 18

Lettre : les étudiants payent-ils moins qu’en 1969 ?

Bonjour,

Ma nièce, qui entre à l’université en septembre, s’intéresse au débat sur la hausse des frais de scolarité. Il y a un point que nous n’avons pas pu clarifier et qui pourtant paraît très simple. Quand on parle de hausse, est-ce en dollars constants ? Sinon, les 550 $ que l’étudiant payait en 1969 est équivalent à plus de 3 300 $ en 2011. Autrement dit, la hausse n’est pas réelle — au contraire, les étudiants paient beaucoup moins aujourd’hui !

Est-ce qu’un de vos journalistes pourrait nous éclairer ?

Merci ! Paul

pourquoi le progrès social ne pourrait-il pas se traduire par un allègement des charges qui pèsent sur les étudiants ? Crédit Tiffany Hamelin

Bonjour Paul,

Le dollar constant permet de comparer les prix de deux biens similaires (les frais de scolarité) à travers le temps, en tenant compte de l’inflation. Sa valeur s’exprime toujours dans le contexte d’une année donnée (ici, 2011) par rapport à une année de référence (1969). L’exercice vise à calculer le montant des biens qu’un dollar de 1969 permettrait d’acheter en 2011.

Or, dans votre exemple, les 550 $ payés en 1969 par les étudiants pour acquitter leurs frais de scolarité sont exprimés en dollars de 1969. La notion de dollar constant n’entre donc pas en jeu. Votre calcul est pertinent, car 550 $ de 1969 coûtent bien, selon le cumul de l’inflation durant 42 ans, 3341 $ en 2011 – ou plus exactement, permettent d’acheter pour 3341 $ de biens en 2011. C’est effectivement 54 % de plus que les 2168 $ que les étudiants paient en moyenne en 2011, en dollars de 2011.

Mais les choses ne sont pas si simples. Tout d’abord, les étudiants paient aujourd’hui des frais afférents qui n’existaient pas en 1969. À titre d’information, ils s’élevaient à 367 $ à l’UdeM pour l’année 2010- 2011, et peuvent être plus élevés dans d’autres universités.

Ensuite, et surtout, la comparaison des frais de scolarité n’a que peu de signification si elle fait abstraction des différences de contexte socioéconomique, notamment de l’évolution du pouvoir d’achat des ménages. Ce pouvoir d’achat dépend de l’inflation – bien prise en compte dans votre calcul –, mais aussi des revenus qui n’ont pas nécessairement changé au même rythme que les prix.

Dans les faits, le salaire annuel moyen au Canada a été multiplié environ par 7 et les prix environ par 6 entre 1969 et 2011, indiquant a priori une légère hausse du pouvoir d’achat entre ces deux périodes. Cela dit, cette progression des salaires, très rapide dans les années 70, est devenue très lente aujourd’hui. De plus, le salaire n’est qu’une composante du revenu disponible, et les autres composantes n’ont pas forcément évolué de façon favorable.

Par exemple, début 2011, le gouvernement Charest avait défendu sa hausse des frais de scolarité par un calcul similaire au vôtre. Des groupes sociaux avaient rétorqué que si les prestations gouvernementales avaient évolué aussi vite que les prix, l’aide sociale devrait s’élever à 813 $ par mois au lieu de 567 $, illustrant l’érosion des premières par rapport aux seconds. Un autre facteur qui a pu nuire à la progression du pouvoir d’achat, c’est l’alourdissement proportionnel de la fiscalité.

Mais surtout une analyse macroéconomique ne rend absolument pas compte des disparités géographiques et entre groupes sociaux. Ainsi, le salaire moyen peut très bien augmenter alors que seule une minorité s’enrichit (les plus hauts salaires explosent), qu’une majorité s’appauvrit (stagnation des salaires, augmentation des prix) et que les plus pauvres s’appauvrissent encore plus (dégringolade des minima sociaux). Cette situation se traduirait par une accessibilité plus faible aux études universitaires en dépit d’une société globalement plus riche.

Le problème ne se limite donc pas à la comparaison des frais de scolarité dans le temps.

Il reste enfin qu’au-delà des chiffres, ce genre de comparaison historique est très discutable. Par exemple, est-ce parce que l’espérance de vie des Canadiens était de 50 ans en 1900 qu’elle devrait être de 50 ans en 2011* ? Pourquoi le progrès social ne pourrait-il pas se traduire par un allègement des charges qui pèsent sur les étudiants ?

 

* L’espérance de vie actuelle des Canadiens est de 81,4 ans.

 

Partager cet article