Une grande campagne de financement s’amorce à l’UdeM. L’occasion de garnir les coffres à grand renfort de philanthropie, mais aussi de prendre le pouls de la générosité des Québécois, en évolution semble-t-il.
L’objectif de la campagne n’a pas été officiellement divulgué par le Bureau du développement et des relations avec les diplômés (BDRD). Mais la responsable du Certificat en gestion philanthropique, Caroline Bergeron, avance que l’UdeM viserait les 500 millions.
Le BDRD est actuellement au seuil d’une opération d’envergure. « C’est la phase silencieuse : nous sollicitons nos gros donateurs avant de rendre la campagne publique », explique sa directrice générale, Chantal Thomas. Tous les dix ans environ, nous menons une campagne majeure, mais nous travaillons aussi continuellement à la sollicitation de dons», précise-t-elle.
La dernière grande campagne, qui s’est terminée en 2003, avait permis à l’UdeM, à Polytechnique et à HEC de récolter 218 millions de dollars. Le gouvernement du Québec ayant injecté 228 millions en complément à ces dons, ce sont 446 millions de dollars qui ont conduit, entre autres, à la construction des pavillons Marcelle-Coutu et Jean-Coutu, à la création de 47 chaires et de 150 bourses ainsi qu’à l’agrandissement de Polytechnique.
D’après le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 6 % des dons réunis en 2008-2009 par les universités du Québec provenaient de particuliers, contre 42 % ailleurs au Canada. Même à l’intérieur de la province il y a distorsion, puisque cette année-là, trois universités anglophones, Concordia, McGill et Bishop’s, raflaient 47 % de l’ensemble des dons, alors qu’elles regroupent environ le quart de l’effectif étudiant.
« Il y a un contexte historique et social à considérer», rapporte André Vanasse, qui a enseigné la littérature à l’UQAM et qui est à l’origine d’un prix de 1500 $ récompensant chaque année un étudiant en littérature. « Les Québécois ont été écartés du pouvoir, donc de la richesse, pendant 200 ans. Avant les années 1960, rares étaient ceux en mesure de donner. Et leur situation économique est encore globalement moins prospère que celle des Canadiens », explique-t-il. Il s’étonne du fait que les particuliers «donnent si peu de bourses», mais considère que les mentalités évoluent. « Cela va changer si on se met dans la tête qu’être philanthrope ne veut pas dire être millionnaire. Un citoyen qui gagne un peu plus que les autres peut avoir la conscience de redonner », considère-t-il.
Caroline Bergeron observe que la culture du don évolue. Si l’écart entre les dons recueillis par les universités du Québec et du reste du Canada reste flagrant, « une transformation est en cours et les pratiques ont changé. Le concept de responsabilité sociale s’étend », croit-elle. Chantal Thomas abonde dans le même sens. « La tradition philanthropique au Québec est relativement récente. Or c’est sur le long terme que nous verrons des changements », dit-elle.
La philanthropie rentable
Dans une lettre publiée sur cyberpresse.ca en novembre 2010, François Blais, doyen de la Faculté de sciences sociales de l’Université Laval, attire l’attention sur les travers de la philanthropie appliquée aux universités. Il souligne que ce geste est « fortement subventionné par des crédits d’impôt dont la valeur est inévitablement assumée par l’ensemble des citoyens», et s’inquiète du risque de perte d’indépendance des universités au profit d’intérêts privés.
Caroline Bergeron se veut rassurante. « La participation des entreprises est un juste retour, commente-t-elle. Elles emploient des gens formés par l’université. » Le cabinet d’avocats Robinson Sheppard Shapiro a fait don en novembre dernier de près de 115 000 $ à la Faculté de droit de l’UdeM.
«Nous avons reçu une formation qui nous permet de bien gagner notre vie, redonner à la communauté est normal », assure Charles E. Flam, le directeur et président du cabinet d’avocats.
Mme Bergeron va plus loin. «L’État ne s’est pas désengagé du financement des universités avec le développement de la philanthropie, et rien n’indique clairement que la tendance aille en s’inversant», affirme-t-elle.
Il n’en demeure pas moins que dans son dernier budget, le ministère des Finances prévoit que la contribution du gouvernement du Québec au revenu global des universités passera de 54 % en 2008-2009 à 51,4 % en 2016- 2017. Les dons et legs compteront pour 3,4 % (3,1 % en 2008-2009), et la participation des étudiants atteindra 16,9%, alors qu’elle était de 12,7 % en 2008-2009. Pour Mme Thomas, «la part de revenu issu de la philanthropie à l’Université de Montréal est marginale, on parle de 20 millions de dollars par an dans un budget qui dépasse le milliard. C’est une valeur ajoutée», conclut-elle.