Depuis les années 2000, le mouvement de fermeture des églises s’accélère au Québec. Certaines y ont réchappé, mais n’accueilleront pas pour autant la messe de minuit à Noël : ce sont maintenant des bibliothèques, des restaurants, voire des condos. Leurs murs de pierres nous réservent parfois des surprises de taille. Petite visite guidée du Montréal des églises qui changent de vocation.
Montréal est un chef de file de la désertion des églises. Les quelques têtes blanches qui assistent encore à la messe ne suffisent plus à justifier les frais reliés au chauffage et à l’entretien des édifices. Le clergé doit donc rediviser les paroisses et se résoudre à vendre quelques lieux de culte.
« Nous avons actuellement neuf églises à vendre, et dans six autres cas, les négociations sont très avancées », mentionne Louis-Philippe Desrosiers, responsable de la vente des églises au diocèse de Montréal.
« Lorsque le Diocèse accepte la fermeture d’une église, le bâtiment est offert à une autre Église [un autre culte] pour une période de six à neuf mois. Si elle n’est pas vendue dans ce délai, elle est offerte aux organismes sans but lucratif pour une période identique et seulement après, elle est offerte à monsieur ou madame Tout-le-Monde », explique-t- il.
Une recherche menée en 2009-2010 par la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain a permis de répertorier 240 églises vendues à Montréal depuis le début du XXe siècle. De ce nombre, 70 ont été démolies, alors que les autres connaissent une nouvelle vocation.
« Ce sont à la fois la diminution de la pratique religieuse, les déplacements de population et l’évolution des besoins spirituels qui expliquent ce phénomène de conversion », précise Olivier Bauer, professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UdeM. « Je comprends que des gens soient attachés à “leur” église, surtout quand ils y ont vécu les temps forts de leur existence : baptêmes, mariages, funérailles. Je comprends que des gens aiment voir une église au milieu de leur village ou de leur quartier, même s’ils n’y mettent jamais les pieds. Je sais que certaines églises ont une valeur patrimoniale. Mais l’église est faite pour l’être humain et non pas l’être humain pour l’église. Quand une église devient trop encombrante, c’est-à-dire trop grande, mal située et trop chère à entretenir, je crois qu’il vaut mieux la convertir ou s’en débarrasser », considère-t-il.
Achat d’église, mode d’emploi
Au diocèse de Montréal, le prix de vente d’une église dépend du type d’acheteur. Les groupes religieux et les organismes à but non lucratif paieront moins cher pour l’achat d’un lieu de culte que les entrepreneurs ayant des visées lucratives. La taille et l’état général de l’édifice influenceront également le prix de vente. Un évaluateur se charge de déterminer la valeur de chaque bâtiment avant sa mise en vente.
Aucune restriction autre que les règlements habituels de zonage ne s’applique en cas de conversion d’une église. Mais avant d’en céder une, la fabrique, un conseil d’administration formé du curé et de six marguilliers (administrateurs laïcs chargés de gérer les biens de la paroisse), demande à connaître les intentions de l’acheteur. Verra-t-on des bars de danseuses nues dans un ancien sanctuaire ? « Pas question ! », répond M. Desrosiers. « Toutes les demandes sont filtrées », ajoute-t-il.
« Nous ne publions aucune liste d’églises à vendre », précise M. Desrosiers. Les personnes intéressées à acquérir une église doivent s’adresser directement à lui, au diocèse de Montréal. M. Desrosiers ne tient pas à donner ses coordonnées.
« Ceux qui sont réellement intéressés me trouvent…», considère- t-il.
La majorité des acheteurs de lieux de culte catholiques proviennent de traditions religieuses autres que celle d’origine. Un phénomène unique à Montréal, dû à la multiethnicité. Ainsi, certains lieux de culte appartenant autrefois au diocèse de Montréal sont dorénavant des églises adventistes, évangéliques, coréennes ou pentecôtistes.
Dans son livre Quel avenir pour quelle église ?, Luc Noppen, professeur titulai re de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain à l’UQAM, estime qu’il faut privilégier les conversions durables qui profitent à la communauté. « Dans ce contexte, il y a lieu de mettre les créateurs au travail, et d’intervenir avec respect et souci patrimonial », explique Jonathan Cha, diplômé en architecture de paysage de l’UdeM. « Mais il faut aussi concilier sacré (église) et sacralisé (patrimoine), c’est-à-dire valoriser une pluralité d’usages, tout en livrant des solutions contemporaines, inventives. Nos églises, qui sont toutes apparues comme des événements, doivent renaître comme événements », conclut-il.
Christine Bertrand
Église adjugée, vendue
Iégor de Saint-Hyppolite, commissaire-priseur, s’est porté acquéreur, en 2004, de la magnifique église de style néoclassique de la rue du Couvent, angle Saint-Antoine Ouest. Ce passionné d’oeuvres d’art a transformé le lieu de culte en maison des enchères. Le bâtiment a subi une cure de beauté tout en conservant les qualités architecturales et les valeurs symboliques du patrimoine religieux qui lui permettraient de redevenir éventuellement un lieu de culte. Une initiative récompensée, en 2006, par le prix Orange décerné par Héritage Montréal, ainsi qu’en 2007, par le prix spécial du Patrimoine de la Ville de Montréal.
En compagnie de Jésus
Le Gesù, inauguré en 1993, est aujourd’hui un haut lieu de diffusion des arts visuels, littéraires et de la scène. Les Jésuites, qui en sont toujours propriétaires, ont préservé un lieu de culte, au haut de l’édifice, où l’on chante encore six messes par semaine.
« Nous n’avons pas ajouté un théâtre, mais plutôt un espace de création dans l’église toujours active où l’on se permet avec moins de risque financier de diffuser et de permettre des résidences de création, surtout en danse contemporaine.», mentionne Alain Gagnon, adjoint à la direction et coordonnateur des locations.
C’est le Jésuite Daniel Leblond, un artiste en arts visuels, qui aurait eu l’idée de mettre sur pied ce centre de créativité. « On ne diffuse pas les mêmes événements dans l’église et dans le théâtre. Par exemple, je n’ai jamais vu un spectacle d’humour dans l’église, ça se déroulera plutôt dans le théâtre. L’expérience créative, autant pour les artistes que pour le public, ne se compare aucunement entre ces deux lieux. Il y a l’idée avant-gardiste de proposer de l’art contemporain dans un lieu sacré et religieux », ajoute M. Gagnon.
Le monument historique, autrefois la chapelle du Collège Sainte-Marie, a été préservé de la démolition grâce à son évaluation patrimoniale. En revanche, le classement au patrimoine culturel et religieux devient un élément limitatif quand vient le temps d’adapter l’édifice en vue d’un nouvel usage, comme ce fut le cas pour le petit théâtre du Gesù. Mais l’avantage de cette nouvelle vocation est sans contredit la qualité exceptionnelle de l’acoustique.
Des livres et nous, Seigneur
La bibliothèque du Mile End occupe depuis 1993 un édifice de l’avenue du Parc ayant jadis appartenu à la congrégation Church of the Ascension. Une visite permet de découvrir l’architecture de sa voûte faite de boiseries naturelles arrondies. L’ampleur de l’espace au-dessus des rayonnages de livres retient particulièrement l’attention. Les personnages religieux colorés des vitraux filtrent la lumière tout en créant une ambiance paisible pour les coins lecture. Des conférences se déroulent dans la mezzanine fermée et vitrée installée sous la voûte de l’édifice.
Situé au coeur du quartier, vaste et bien fenêtré, l’ancien temple semble tout désigné pour loger la bibliothèque municipale. Cependant, tout n’est pas si simple, rappelle Luc Noppen, professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain à l’UQAM. Aménagée rapidement dans l’ancienne église Saint-Matthew, en 1980, la bibliothèque du quartier Saint- Jean-Baptiste à Québec paie encore les frais que lui confère son titre de pionnière : quelques années après sa conversion, une inspection du bâtiment révélait d’importantes faiblesses sur le plan structural.
Dans un article paru le 20 janvier 2011 dans la revue Argus, Luc Noppen résume bien le principal aspect à considérer pour la réussite de ce type de conversion: « Il importe de bien évaluer la capacité de charge des planchers et l’impact du poids des livres et des nouveaux meubles sur la structure. C’est ce qui a fait de la bibliothèque du Mile End un bâtiment essentiellement neuf, construit sous une précieuse charpente de toit méticuleusement conservée », explique-t-il.
Donnez-nous notre pain quotidien
Bon nombre d’églises ont été converties en vue d’un usage communautaire. C’est le cas de Saint-Barnabé, qui revit sous la forme d’un carrefour d’alimentation et de partage. La Perle Retrouvée des Haïtiens occupe l’ancienne église Saint-Damase, alors que l’église Saint-Mathias, sur l’avenue d’Orléans, est devenue le Chic Resto Pop.
Jacynthe Ouellette, qui dirige le Chic Resto Pop depuis 1992, désirait le déménager depuis quelques années, le sous-sol de l’église Très-Saint-Rédempteur étant devenu trop petit. « Le vicaire épiscopal de l’époque, M. Pierre Côté, m’avait glissé un mot lors d’une réunion. Le lendemain, ma lettre d’intention était à l’Archevêché », raconte-t-elle. Depuis décembre 2002, les protégés de Mme Ouellette ne mangent plus au sous-sol, mais dans la vaste nef rénovée.
Pour une entreprise communautaire de ce genre, ces bâtiments permettent de bénéficier d’un grand espace pour recevoir la clientèle. En ce qui concerne le Chic Resto Pop, le plus grand investissement a été l’installation de la cuisine-cafétéria, et le principal inconvénient reste les importants frais d’entretien et de chauffage. Mais les administrateurs ont trouvé une façon originale de générer des fonds. L’organisme, en plus d’offrir des repas à prix modique, favorise l’insertion sociale.
Les gens reçoivent une formation préparatoire à l’emploi, et la nourriture qu’ils produisent – des mets cuisinés congelés – permet de rejoindre une autre clientèle et d’aider au financement de cette entreprise d’économie sociale.