Le président Hosni Moubarak déchu, les Égyptiens doivent repenser l’avenir de leur pays. À partir des élections législatives du 28 novembre, ils entameront la construction d’une démocratie. La tâche s’annonce robuste.
Ilétait facile de se laisser emporter par les images que les réseaux de télévision ont transmises pendant les protestations de janvier et de février 2011. Après la démission de Moubarak et le triomphe des démocrates, on pouvait croire que l’Égypte tournait la page. Mais plus de six mois après la révolution, le quotidien des Cairotes est resté le même.
Toujours pas de poubelles publiques dans les rues, des automobilistes toujours aussi peu respectueux du code de la route et des normes d’hygiène dans la restauration toujours aussi douteuses: autant d’exemples de l’inefficacité et de la corruption dans la bureaucratie égyptienne. Des problèmes de gouvernance en grande partie dus au manque de culture démocratique dans un pays qui n’a connu que quatre présidents depuis 1952. Sans le mécanisme par lequel la population demande des comptes à son gouvernement et peut le sanctionner par les urnes, politiciens et bureaucrates restent très peu redevables envers la population. Par exemple, l’Égypte a éprouvé beaucoup de difficulté à organiser ses premières élections législatives, reportées deux fois depuis septembre, sans réaction notable de la société civile égyptienne. Dans une démocratie mature, une telle situation aurait probablement provoqué un vif débat public.
Plusieurs pays d’Amérique latine et d’Europe de l’Est, passés de régimes totalitaires à la démocratie dans les dernières décennies, vivent depuis une génération le processus dans lequel l’Égypte vient de s’engager. Leur exemple montre que c’est une transition ardue, car il faut du temps avant que la bureaucratie comme les citoyens acquièrent une culture de bonne gouvernance et pour que le lien de confiance entre citoyens et système politique nécessaire à l’exercice de la démocratie puisse se tisser.
Le poids de la religion
En plus de ce défi, l’Égypte pourrait avoir à gérer une hausse de la tension entre chrétiens et musulmans. Comme Wagi (voir encadré), de nombreux chrétiens craignent la montée des Frères musulmans dont le succès aux élections pourrait mener à un environnement politique très conflictuel, voire à la violence sectaire. Toutefois, pour avoir milité auprès des révolutionnaires, le parti théocratique a pu constater que c’est le désir de démocratie, et non la religion, qui a motivé le soulèvement populaire, ce qui pourrait le pousser à donner l’ascendant aux valeurs démocratiques sur sa vision islamiste. Comme Amir et Ahmad (voir encadré), les jeunes Égyptiens sont dynamiques, mobilisés – ils l’ont montré pendant les dix-huit jours d’occupation de la place Tahrir – et de plus en plus attachés à l’idée de démocratie. Ce sont autant de constats qui permettent d’espérer que la révolution puisse aboutir.
Les Cairotes entre l’espoir et la crainte
Wagi (égyptologue) : le malaise chrétien
Wagi est un des nombreux chrétiens d’Égypte qui craignent la montée des Frères musulmans aux élections. Principale force d’opposition au régime de Moubarak, ils pourraient profiter du fait qu’ils forment le parti politique le mieux établi. « Au début, j’appuyais les manifestants et j’étais content du renversement de Moubarak, mais je ne crois pas que les élections vont être transparentes», affirme Wagi. «Je crains […] que l’Égypte devienne comme l’Iran», ajoute-t-il. Wagi continue de croire que la vie est meilleure en Occident. «Je rêve d’amener ma famille aux États-Unis, au Canada ou en Australie. Il y aura plus de travail et d’opportunités pour mes deux fils.»
Amir (comptable) et Ahmad (chauffeur privé) : la démocratie à tout prix
Amir et son ami Ahmad se sont rendus à la place Tahrir pendant la révolution. Amir n’est toutefois pas convaincu par la transition démocratique, car la bureaucratie est encore peuplée de proches du régime de Moubarak. «Il est difficile d’avoir confiance dans les institutions actuelles, car elles ont été mises en place par l’ancien régime», dit-il. Amir craint aussi que les élections législatives soient chaotiques et que les Égyptiens se retrouvent avec un parlement dysfonctionnel. « Rien n’est garanti avec les élections et nous n’avons pas encore de Constitution. » La constitution devra être rédigée par les membres du nouveau parlement. Amir et Ahmad restent déterminés à appuyer la démocratie et sont prêts à retourner dans la rue. « L’Égypte postrévolutionnaire est décidément un meilleur pays pour l’avenir de mes deux filles et pour leur éducation», affirme Ahmad. Quant au risque que le pays sombre dans un conflit religieux, Amir affirme : «L’islam joue un rôle pacificateur en Égypte pour assurer que les chicanes politiques ne virent pas en violence.»
Shadhiyah (domestique) : la sécurité avant tout
Shadhiyah fait partie des nombreux Égyptiens dont la vie est restée quasiment inchangée après la révolution, pour laquelle elle n’éprouve pas grand intérêt. Son travail n’a pas été affecté, contrairement à beaucoup de gens dans l’industrie du tourisme par exemple. Mère de quatre enfants, elle éprouve certaines craintes pour la sécurité dans le pays, mais elle reste optimiste : « l’Égypte d’après la révolution est une meilleure place pour élever mes enfants.»