Culture

Maîtres de toison

À l’occasion du mois qui se laisse pousser la moustache pour devenir Movember, rencontre avec Franco et Francesco, deux barbiers de quartier montréalais, dont les salons pour hommes tiennent encore le haut du pavé. Visite de ces lieux authentiques qui perpétuent l’art du rasage dans une ambiance à la dolce vita.

 

 

 

 

 

 

Francesco Colatrella

 

 

 

 

Petits oignons et peau de bébé

 

Le salon Chez franco, fief de francesco Colatrella Patrick, jeune trentenaire branché, s’assoit sur le fauteuil d’un barbier pour la première fois aujourd’hui. «C’est une expérience originale que je pense répéter. Exposer sa gorge est un peu étrange. Mais, passée la première appréhension, ajoute-t-il, c’est plutôt agréable.» Patrick a poussé la porte du salon par curiosité, après qu’une amie ayant vu le barbier à l’oeuvre lui en ait parlé. «On est aux petits oignons. La musique italienne, l’odeur de la crème, de l’eau de Cologne et des mains du barbier qui me rappellent mon enfance… Je reviendrai pour tout ça!» dit-il.

 

À l’ère du rasoir électrique, pourquoi débourser 12 $ pour se faire faire la barbe ? «Pour la peau de bébé, les femmes aiment ça », s’amuse le maître ès lames. « La serviette chaude, la crème de beauté et la lotion sont des petits plus que les hommes ne s’accordent pas quand ils font ça eux-mêmes.» Client régulier du salon, William observe son rituel mensuel : «Je viens par paresse, parce que la barbe repousse moins vite quand c’est fait par un professionnel, et parce que c’est un quart d’heure de détente.»

 

Francesco Colatrella tenait son premier coupe-chou à 13 ans. «Je suis barbier depuis 57 ans. Les hommes descendent de Westmount et d’Outremont pour se faire raser ici.» Le salon de l’avenue du Mont-Royal est animé. En plus des coupes de cheveux, Francesco taille une quinzaine de barbes par semaine. Il s’étonne qu’on prétende que son art soit en déclin. «En 20 ans dans cette boutique, je n’ai pas vu la demande diminuer.»

 

Du haut de ses 70 ans, le barbier manie son rasoir d’une main assurée, sans le moindre tremblement malgré les six espressos quotidiens. Le secret de son art, « c’est l’amour du métier». La retraite ? Pas question! «Quand j’entre ici le matin, je me sens plus fort, si j’arrête de travailler je meurs», dramatise-t-il.

 

Salon Franco, Francesco Colatrella
108, avenue du Mont-Royal Est

 

 

 

 

 

 

Franco Degregorio

 

 

 

 

La main vibrante du barbier
Le salon de franco Degregorio

 

«J’ai rangé le rasoir à l’ancienne il y a longtemps. C’est moins en demande. Avec Gillette, tout a changé», raconte Franco Degregorio, qui taille barbes et cheveux depuis 60 ans. Chaque semaine, quatre ou cinq clients viennent se faire raser dans le salon du coiffeur-barbier de la rue Beaubien. «Pour la barbe, ce sont des jeunes et des moins jeunes. Je vois de tout. Mais on vient aussi me voir pour “ça”», dit-il. Du vieux meuble à tiroirs brun, il extirpe une machine à massage électrique d’époque. «C’est la cerise sur le gâteau», murmuret- il l’oeil étincelant. L’originale Oster Ball Bearing s’enfile comme un gant pour faire vibrer la main du barbier sur le crâne du client. «Ça détend, et ça soigne le mal», explique le barbier qui dévoile assez vite son humour pince-sans-rire.

 

Entrer chez Franco Degregorio, c’est un peu faire un voyage dans le temps. Le bois verni qui couvre les murs exhale un air de mélancolie. Le bleu des chaises est aujourd’hui fané. Posé à côté de la caisse enregistreuse, le vieux poste radio diffuse un air d’opéra. Le cuir orange des fauteuils d’époque apporte une touche de couleur à l’ensemble. On croirait que rien n’a bougé depuis l’ouverture dans les années 1960. Franco s’y est installé il y a quinze ans. Roger Nepveu a enseigné l’art du rasage dans les années 1960 et travaillé au salon du temps de l’ancien propriétaire. Il est demeuré un habitué. «Avec le sida, beaucoup de barbiers ont cessé de raser par peur des coupures. La demande a diminué», raconte-t-il.

 

Depuis 40 ans, Robert Côté se rend au salon une fois par mois. «Je viens parler politique, et me faire couper les cheveux. Le coiffeur-barbier, c’est tout un univers en soi.» Pendant que Franco joue minutieusement du ciseau pour lui tailler les sourcils, ils se souviennent ensemble de «l’époque où il y avait une file sur le trottoir». Le salon tourne bien, même si «je fais moins de barbes ; les temps changent, voilà tout », conclut le barbier. Pour Franco Degregorio, avec ou sans barbes son salon reste «le meilleur endroit au monde».

 

Salon de barbier Franco Degregogrio
2701, rue Beaubien Est

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Movember, mo-bilisation !

Se laisser pousser la moustache pour lutter contre le cancer de la prostate, tel est le principe de Movember. Chaque année depuis 2003, des dizaines de milliers de participants à travers le Canada entament novembre rasés de près et laissent croître leur appendice pileux tout le mois. Seuls ou en équipe, les «Mo Bros» recueillent des fonds et sensibilisent la population à la santé masculine. La campagne est ouverte aux «Mo Sistas». Nulle obligation d’exhiber un duvet disgracieux, il suffit d’aider les «bros» à publiciser l’événement. En 2010, 119000 participants ont récolté 22 millions de dollars.
« La moustache est le vrai piquant [du baiser] ». Maupassant, Boule de suif.
ca.movember.com/fr

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