18 h45. Mes collègues de classe surgissent un à un, l’air interdit, excité. C’est que le chargée cours Pierre Sormany, directeur des émissions d’affaires publiques à la Société Radio-Canada, a été suspendu de ses fonctions à la Première Chaîne, le 30 septembre dernier, pour avoir tenu sur le réseau social Facebook des propos liant Tony Accurso et Jean Lapierre. Ce dernier a déposé une poursuite en diffamation de 250 000 $ contre P. Sormany. Qui parmi les étudiants osera aborder ce sujet qui le concerne ?
18 h 50. « Je n’aurais manqué ce cours pour rien au monde !», me dit Olivier Tremblay, étudiant au certificat en journalisme, impatient. «Ila l’air d’avoir la couenne dure, il va venir !», lance ma voisine, optimiste.
Mais dans le contexte actuel, rien n’est moins sûr.
18 h 57. Les conversations cessent abruptement. Pierre Sormany entre, tête haute et tout sourire. «Il a vraiment des couilles d’acier », s’exclame Olivier Tremblay. On sent l’excitation de la classe, qui s’efforce de poursuivre ses discussions alors qu’il n’y a qu’un sujet sur toutes les lèvres. « Moi, je vais en parler. Pas de gêne à y avoir, il doit s’attendre à ça ! », lance Robin Dumont.
19 h 00. Début du cours. Pierre Sormany, comme tous les jeudis qui sont pour lui des journées sans fin au bureau, invite les étudiants à évoquer les actualités des derniers jours.
Malaise. Normalement, les réponses fusent. Mais ce soir, certains baissent la tête, d’autres sourient nerveusement.
Pierre Sormany attend. Roger Ladouceur, doyen de la classe et médecin de profession, lève la main. Osera-t-il? «La mort de Steve Jobs…» Ouf! Sursis. «Autre chose qui vous a marqué cette semaine ? », enchaîne Pierre Sormany. La tension est palpable.
Personne n’ose se commettre, pas même Robin.
Je me lance. «Sauf tout le respect que je vous dois, M. Sormany…» La glace est brisée. Il rit. Il dit qu’il s’attendait à ça. «Pour des raisons évidentes, je ne peux pas commenter. »
« Alors qu’en pensez-vous? », demande-t-il. Les langues ne se délient que très peu. Une étudiante courageuse soutient qu’elle était très étonnée, puisque la première personne qui nous dirait d’être prudent sur Facebook, c’est bien notre chargé de cours.
« Vous êtes-vous trompé en envoyant ce message directement sur le mur plutôt qu’en privé ou avez-vous simplement répondu sans trop faire attention? » Quelle audace de la part de notre collègue français ! Nous sommes tout ouïe…
« Un peu des deux. Il était 23h02… Évidemment que je ne voulais pas que ce message soit public!», explique Pierre Sormany.
Mon voisin est sceptique. « Il l’a tellement fait exprès! » lance-t-il à mi-voix.
Pierre Sormany poursuit avec une tirade sur la mince ligne entre vie publique et vie privée sur les réseaux sociaux, mais plus un mot ne sera dit sur l’affaire. Il n’était vraiment pas en position pour parler.
Malgré les doutes et les questions restées sans réponse, l’assurance de P. Sormany et le respect que nous lui vouons nous ont laissés muets. Il a continué son cours, solide et éloquent.
Le savoir encyclopédique de cet homme et son amour du journalisme émanaient autant, sinon plus qu’à l’habitude.
Pierre Sormany prend sa retraite
Au lendemain de cette soirée, Pierre Sormany annonçait son départ définitif de Radio-canada en évoquant son droit à la retraite, conscient des « conséquences que peut engendrer pour Radio-Canada […] la diffusion accidentelle dans l’espace public des propos personnels que j’ai tenus sur l’analyste et animateur Jean Lapierre ».
À la suite de cette annonce, le responsable du certificat en journalisme, Robert Maltais, nous a confirmé que Pierre Sormany conservera ses charges de cours dans le cadre du certificat en journalisme.