« J’ai tout appris des bandes dessinées. Et aussi, tout ce que je sais sur les femmes », affirme Art Spiegelman, seul bédéiste à avoir été couronné du prix Pulitzer avec son roman graphique Maus. De passage à Montréal, il est venu esquisser l’histoire de sa passion à l’Université Concordia le 24 septembre dernier. Malgré deux heures de conférence, aucun «Zzzzzz » dans la salle.
Une file de 700 personnes, jeunes et moins jeunes, serpente dans le hall de l’Université Concordia. La bande dessinée n’est pas une gaminerie. Quelquesuns, fébriles, tiennent pieusement une bande dessinée sous le bras. Enfin, la vedette de la BD contemporaine apparaît. Il s’excuse d’avoir retardé la séance. «Je parle mieux quand je fume», explique-t-il. Le public, visiblement déjà conquis, s’esclaffe à chacune de ses touches d’humour pince-sans-rire.
Sobre, mais d’une présence vive, l’artiste lit avec expression les bulles des planches de Maus et d’autres bédéistes qu’il présente sur grand écran. Par des remarques sur la structure et l’abstraction, il décrit la BD comme un formidable langage. «Elle fait son chemin avec force et rapidité jusqu’au cerveau. […] Amoureux, le texte et l’image ne sont rien l’un sans l’autre», dit-il. La succession des cases doit créer un rythme, une «musicalité », une « chorégraphie de diagrammes». Spiegelman fait éclater la case en passant de l’Histoire, aux histoires, à son histoire.
L’homme derrière le crayon
Art Spiegelman a mis «tout ce qu’il pouvait dans un tout petit espace»: la case. Il a suivi le conseil donné par son père, qui a dû mettre sa vie dans une valise pour fuir la guerre. Avec Maus, il a réussi à surpasser les clichés de «super héros qui transforme l’eau en vin». Ses héros de BD sont des souris, qui se terrent, qui fuient ou qui subissent l’Holocauste. Maus est une biographie de la vie du père de Spiegelman. L’oeuvre suscite un engouement sans précédent et on lui décerne en 1992 un prix Pulitzer spécial, une première – et dernière – dans le monde de la bande dessinée. Son mérite est d’avoir permis la montée d’un nouveau genre que l’on nomme dorénavant le roman graphique. Grâce à lui, la bande dessinée n’est désormais plus perçue comme un genre destiné uniquement aux adolescents. «C’est beaucoup plus que des lignes sur du papier», dit-il. C’est un art.» Le neuvième, mais certainement pas le moindre, si l’on en croit Spiegelman.
Et l’art nécessite du temps. «Il faut prendre un bain de quelques décennies», explique-t-il en parlant de son nouveau livre. Pour le 25e anniversaire de la première édition de Maus, le bédéiste présente Meta Maus, un regard sur un classique moderne. Un ouvrage qui lui permet « d’enlever son masque de souris», qui lui colle à la peau depuis la parution du livre et «qui plane sur toute son existence». Une tonne de matériel inédit, dont l’enregistrement des entrevues avec son père, et des réponses étoffées aux «redondantes questions» sur les choix de Spiegelman: l’Holocauste, les souris, la BD.
Bande dessinée 101
Au début du 20e siècle, le dessin à bulles est considéré comme un média de masse avec plus de 400 parutions hebdomadaires. Puis apparaissent les bédés d’horreur et d’action destinées à un jeune auditoire. Le comic code Authority est alors créé aux États-unis. son rôle est de censurer ce genre qui incite à la délinquance juvénile selon le livre Séduction des innocents, publié en 1954, par le psychiatre Fredric Wertham. selon le psychiatre, les scènes de sexe, d’abus de drogue et de violence inciteraient les jeunes à la délinquance. on devra attendre jusqu’aux années 70 avant que les antihéros et la critique sociale ressurgissent de la contre-culture.