Anthony Morgan était de passage à l’UdeM jeudi dernier pour prôner un message d’ouverture et « créer un dialogue » sur les questions raciales. C’est lui qui a filmé, le 14 septembre, trente étudiants de HEC Montréal qui s’étaient déguisés en Usain Bolt – le sprinteur jamaïcain – en se peignant notamment le corps en noir. Ricardo Lamour-Blaise, un étudiant au baccalauréat en service social de l’UdeM, l’a invité à prendre la parole dans le cadre du cours Travail social et pluriethnicité. Compte rendu de la séance de discussion.
«Quand j’ai vu les étudiants de HEC le visage peint en noir pour la semaine d’intégration, je n’y ai pas vu d’acte raciste. Ce sont les symboles qu’ils ont utilisés pour représenter les Jamaïcains qui étaient offensants », a déclaré Anthony Morgan dans une salle remplie d’étudiants du baccalauréat en service social au Pavillon Claire-McNicoll. Par «symboles offensants», M. Morgan fait entre autres référence à l’accent stéréotypé jamaïcain, au slogan «Want some weed, man » (ou « Smoke more weed» selon The Gazette) ou encore à la mascotte représentant un singe.
C’est d’ailleurs en lisant l’article paru le 21 septembre dernier dans Quartier Libre sur les allégations de racisme à HEC Montréal que M. Morgan a compris que le singe en peluche utilisé lors de l’activité d’intégration n’était en fait qu’une mascotte et qu’il ne fallait voir par là aucun acte délibérément raciste. Mais selon lui, «quand on connaît les symboles utilisés pour ridiculiser les Noirs, on ne peut pas s’empêcher de penser que les scientifiques des années 1850 ont comparé les Noirs à des singes pour justifier un système de colonialisme raciste».
Il insiste sur l’importance du contexte historique et des symboles, en expliquant que s’il fait un discours sur l’art et qu’il dit que la croix gammée est «esthétique, géométrique, ça ne marche pas, parce qu’on ne peut pas faire abstraction du contexte historique. C’est la même chose ici », ajoute-t-il en insistant sur le fait que «les mêmes outils caricaturaux ont été utilisés sur les Juifs, les homosexuels, les Chinois, les Irlandais».
Anthony Morgan affirme que s’il a parlé aux médias, ce n’était pas pour être une vedette pour «l’Église des Noirs», mais parce qu’il juge important de dénoncer ces actes pour combattre des préjugés qui perdurent encore au 21e siècle. «Je suis Jamaïcain, mais je ne fume pas de pot et je n’ai pas de dreadlocks », ajoute-t-il en rigolant et en montrant son crâne chauve.
Selon lui, une des solutions serait de «créer un dialogue, des espaces sécuritaires » pour lutter efficacement contre ce type de comportement basé sur un manque de discernement.
Il propose aussi d’instaurer plus de cours sur l’histoire des communautés, qui informeraient davantage les étudiants. Ainsi, ils pourraient clairement se rendre compte qu’ils ont des représentations péjoratives, voire racistes, des autres communautés «et si on a un espace pour avoir ce dialogue et pour lutter contre ces préjugés, c’est bien à l’université».
Courage et maturité
Certains étudiants sont sortis de la conférence très émus et ont félicité M. Morgan après son discours. C’est le cas de Li Juan Xu qui, en tant qu’immigrante chinoise, approuve les propos et l’initiative d’Anthony Morgan. «Comme il l’a dit, ce ne sont pas que les Noirs qui sont touchés par ces phénomènes. Par exemple, les gens voient toujours les Chinois comme des personnes très discrètes et réservées. Ils pensent toujours qu’on est venu pour construire le chemin de fer», dit-elle avec émotion.
«Il a essayé de comprendre ce qui s’était passé. Il a parlé avec beaucoup de maturité en n’accusant personne », ajoute Sylvie Gagnon, elle aussi étudiante. Selon elle, l’attitude d’Anthony Morgan est honorable, car «il a dénoncé cette situation pour éviter que ces images négatives ne soient perpétuées» et non dans le but de causer du tort aux étudiants de HEC Montréal.
«C’est juste un dialogue qui éclaire comment un geste qui peut être complètement naïf peut devenir blessant. S’il n’y a jamais ce type de dialogue, il n’y aura jamais de compréhension. C’est pour ça qu’il faut oser en parler », conclut Sylvie Gagnon.