Trente étudiants à HEC Montréal se peignent en noir, se déguisent comme le sprinteur jamaïcain Usain Bolt, brandissent un singe en peluche et scandent des chants à propos du cannabis, lors d’une activité organisée par un comité de sports et loisirs, au stade extérieur du CEPSUM. C’était le 14 septembre dernier.
Un étudiant en droit de l’Université McGill, Anthony Morgan, passe par là par hasard. Il filme la scène et diffuse le vidéo sur YouTube le jour même. La réaction ne se pas fait attendre : le journal The Gazette publie dès le lendemain un article où pleuvent des accusations de racisme, notamment de la part de M. Morgan, qui se dit profondément perturbé par ce qu’il a vu. C’est notamment le fait que les étudiants se soient peints en noir qui choque. Cela rappelle une pratique théâtrale, le blackface, qui disparu des États-Unis pendant les années 1960 sous la pression de groupe de droits civiques afro-américains.
La Ligue des Noirs du Québec demande maintenant une enquête de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec.
Quartier Libre a recueilli en exclusivité le témoignage de trois étudiants qui se sont peints en noir et qui se sont retrouvés, malgré eux, au coeur de la controverse.
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« C’est moi qui tenais la mascotte de singe, raconte Maxime Côté, étudiant en 1ère année à HEC Montréal, 20 ans. Mon père me revient avec ça, il a entendu ma voix à la télévision. C’est la surprise. »
Malgré la piètre qualité du vidéo YouTube, Maxime a été reconnu par des collègues. « J’ai l’air du visage raciste de la classe, poursuit Maxime. Là, on en rit un peu, mais des étudiants d’autres classes me reconnaissent quand même et me disent “hey le raciste”… J’en ris, mais ce n’est pas ce qui a de plus le fun. » Maxime n’est pas seul. Ils étaient 30 étudiants à HEC Montréal peints en noir, tous membres du groupe d’intégration A01. Alexandre et Charles, respectivement président et vice-président du groupe A01, ont aussi accepté de parler. Ils ont toutefois refusé de donner leur nom de famille afin d’éviter les représailles.
Alexandre commente : «Ça m’attriste beaucoup, mais ça attriste tout le monde. Je parle en mon nom, mais je suis sûr qu’il y a beaucoup de monde qui endosserait les propos que je tiens en ce moment. Ça m’attriste vraiment que nos intentions qui étaient bonnes ont été mal perçues. Je tiens à m’excuser auprès de M. Morgan, auprès de toute l a c ommunaut é no i r e , aup r è s d e s Jamaïcains, et auprès de quiconque ayant pu être offensé.» Mais que s’est-il passé ? Selon Charles, «nous n’avons pas pris de recul pour regarder la situation, et se demander “est-ce que ça fitte?”, “est-ce que nous allons offenser quelqu’un?”, “est-ce que nous poussons la chose trop loin?”».
Et quel mélange ! La peinture noire, la mascotte du singe, les imitations d’acte sexuel, les références au cannabis… «Notre erreur, c’est notre ignorance, résume Alexandre. C’est le fait de mélanger tout ça ensemble. Ce qui a causé quelque chose d’assez explosif, surtout aux yeux de M. Morgan.» Pourquoi avoir une mascotte de singe ? «La mascotte de singe, c’est le symbole du groupe A01 depuis 3 ans, explique Alexandre. Ça n’a aucun lien avec quoi que ce soit. Le toutou en forme de singe, nous l’avons acheté la veille pour 99 cents dans une friperie de Côte-des-Neiges. Il n’y avait rien de planifié.»
Et pourquoi Maxime mimait-il de sodomiser le singe ? «Toutes les chansons de groupe sont pas mal toutes vulgaires», relativise Maxime. Il explique qu’il ne faisait que suivre la chanson. «À l’Université en général, il y a plusieurs trucs qui relèvent de thèmes sexuels, dont les chansons, complète Alexandre. C’est quelque chose dont on n’est plus gêné maintenant. Dans les années 1940 ou 1950, nous aurions parlé de sexualité, ça aurait été mal pris. Mais maintenant, c’est un sujet assez ouvert. Les séries à la télé en parlent, les nouvelles en parlent. Donc, nous utilisons ces thèmes-là parce que c’est généralement utilisé.»
Pourquoi scander des références à la marijuana ? «Le slogan “Want some weed” (et non “Smoke more weed” comme mentionné dans The Gazette) provient du fait que la chanson «One Love» de Bob Marley est le slogan de notre groupe. Nous avons remplacé le “L” par le chiffre 1, dit Alexandre en référence à leur groupe A01. On se prône comme un groupe peace and love qui encourage les autres, avec Bob Marley qui chante ses chansons d’amour. On chantait “One Love” pendant l’événement du 14 septembre dernier. Il y avait une fierté à être Usain Bolt. C’est un hommage qui a été totalement mal perçu, à cause de notre ignorance. On aurait dû faire une analyse plus poussée. C’était manqué totalement.»
Alexandre conclut : «S’il y a juste une leçon à retenir de ça, c’est de vérifier la portée de nos actes. Et la leçon que j’aimerais que M. Morgan retienne aussi, c’est qu’avant de juger quelqu’un comme raciste, qu’il aille vérifier. Je ne l’accuse pas, il avait tous les droits de sauter aux conclusions auxquelles il est arrivé, mais il ne devrait pas sauter aux conclusions trop vite.»
Formation annoncée
La direction de HEC Montréal annonce qu’elle organisera un programme de formation à l’intention des organisateurs à propos des enjeux interculturels afin de s’assurer que les prochaines activités se déroulent dans le respect de tous.
La direction a annoncé cette position par voie de communiqué le 16 septembre dernier. Elle considère « cet incident hautement regrettable ». La direction « voit dans cet incident un manque de sensibilité par rapport à certaines réalités interculturelles de la société d’aujourd’hui».
HEC Montréal est un établissement affilié à l’UdeM qui compte une diversité culturelle notable avec en son sein 32% d’étudiants étrangers, nés dans 140 pays différents.
Pas un cas isolé
Le site openfile.ca a recensé trois autres événements semblables où des étudiants d’universités canadiennes se sont peints en noir et ont causé un scandale.
En octobre 2006, des étudiants de l’université Wilfrid Laurier en ontario se peinturent le visage en noir pour représenter la jamaïque lors d’un carnaval ayant comme thème «Les nations du monde».
En 2009, cinq étudiants de l’université de Toronto se déguisent comme l’équipe jamaïquaine de bobsleigh comme dans le film Cool Running. Quatre étudiants blancs se peignent alors le visage en noir et l’autre, Trinidadien d’origine, se peint le visage en blanc.
En 2010, un groupe d’intervention contre le racisme de l’université Windsor rapporte le cas d’un étudiant qui aurait fait une présentation orale avec le visage peint en noir.