Culture

Du nu, à tous points de vue

« Il n’y a aucune continuité. Mais paraît que c’est ça, l’art contemporain », commente Isabelle, serveuse du Kingdom-Gentleman’s Club, lorsque je lui demande sournoisement ce qu’elle pense de la performance de l’équipe de La 2e Porte à Gauche. C’est exactement ce que je pense aussi : ce spectacle est vraiment du gros n’importe quoi.

Concept : Depuis sa fondation en 2003, La 2e Porte à Gauche se plaît à déplacer la danse contemporaine dans des lieux hors du commun. Ses artistes ont dansé dans une vitrine du magasin Simons ; ils investissent maintenant un bar de danseuses. Pourquoi ? « Tout ça est parti de plusieurs réflexions, dont celle-ci : est-ce que ce qui se passe dans la danse contemporaine n’est pas souvent plus cru et choquant que ce qu’on peut voir dans les bars de dans e u s e s ? » explique Katya Montaignac, directrice artistique du projet.

Comment dire?

Le Kingdom est un endroit orné d’un détecteur de métal à l’entrée et décoré d’une scène circulaire centrale agrémentée de six poteaux. Tout y est un peu de la couleur de la passion : les fauteuils du lieu sont rouges et sa lumière aussi. Les statues de lion, elles, sont de couleur or.

Lors de la présentation de Danse à 10, tout est authentique, sauf la clientèle. Selon Isabelle, serveuse depuis un an et demi au Kingdom, aucun habitué n’est venu profiter du spectacle de danse contemporaine.

Les organisateurs expliquent aux spectateurs le concept de la soirée : une performance est présentée sur la scène, tandis qu’une autre réalisation artistique a lieu dans un salon privé auquel seules six personnes peuvent accéder à la fois. Comment y pénétrer ? Il faut réussir à obtenir l’une des six cartes à jouer qui circulent de façon presque clandestine dans la salle. Dépourvue de l’ambition de jouer au chat et à la souris avec quelque valet de trèfle qui soit, je n’ai rien vu de cette réalisation qui semblait pourtant, ma foi, fort intéressante.

Lors de la répétition générale du spectacle, Francis Ducharme a tenu à ce que le photographe lui immortalise l'entrejambe. Invitant.

Le spectacle s’ouvre sur Blanche, femme nue déployant une certaine énergie sur scène pour exprimer une émotion proche de la crise existentielle. La fesse de Blanche est ornée d’un papillon, chacun de ses seins porte une triste cicatrice, ses lèvres génitales arborent un perçage. À ses pieds, des escarpins rouges à talon. Certains spectateurs ne la contemplent même pas, leur regard ne fixant rien de particulier.

La deuxième performance* met en scène Francis, en culotte blanche et camisole grise. Encore et encore, Francis frappe son torse contre un poteau, et vit plusieurs vagues d’émotions.

Suit la danse** d’une femme victime du trop-plein de ses sous-vêtements. Ceux-ci laissent échapper des averses de sous sur la scène. En exerçant son art, la danseuse laisse aussi traîner dans l’air un message engagé… qui ne convainc pas.

Vient ensuite le numéro*** de deux chevaliers en conquête du coeur d’une princesse. Du gros burlesque, qui arrive de façon certes inopinée.

Du gros cliché

C’est comme ça jusqu’à la fin.

Entre-temps, des membres de la troupe se promènent dans la salle, le regard hagard ou la mine baveuse, à caresser des nuques, à s’exhiber la nudité.

Il est aussi possible, pour dix dollars supplémentaires, de s’offrir une danse privée avec l’un des danseurs dans un isoloir. Ici, une bouteille de Labatt Bleue coûte presque le même prix (7,50 $ avant pourboire).

Par écrit, tout cela semble presque attrayant. Mais en réalité, ce ne l’est pas. La sélection musicale, très hétéroclite,nous mène d’un état à un autre sans nous embarquer. Les danseurs sont trop présents physiquement sur la scène et dans la salle sans pour autant animer les spectateurs. C’est froid.

Vous pouvez tout aussi bien vous pointer dans une partouze à laquelle vous n’êtes pas invités pour vivre le sentiment que procure Danse à 10.

J’observe le dossier de presse et la critique est unanime : conceptuellement, tout cela est fantastique, magique et audacieux. Les chorégraphes ont travaillé autant avec des danseurs contemporains qu’avec des danseuses nues, ils ont choisi la satire, la critique sociale ou le burlesque, ils ont exploré la confusion des genres, ils ont surtout joué avec la nudité.

«Il y a une telle banalisation de la nudité en danse contemporaine qu’on ne se rend parfois plus compte de son pouvoir érotisant, explique Katya Montaignac. On prend ce lieu réputé pour la nudité, histoire de voir ce qu’on peut y faire.»

La nudité, si je ne m’abuse, ça existe depuis la nuit des temps.

Peut-être que La 2e Porte à Gauche a oublié de considérer ce fait.

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Danse à 10 est présenté au Kingdom – Gentleman’s clubles 25, 26 et 27 septembre.

* Chorégraphie de Frédérick Gravel
** Chorégraphie de Manon Oligny
*** Chorégraphie de Marie Béland

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