Selon deux chercheurs de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), la hausse des frais de scolarité s’explique par une américanisation du financement universitaire au Québec.
« Le Québec tente de se rattraper par rapport aux autres économies plutôt que de prévoir et de prévenir ce qui arrive à ses universités », avertit Maxime Ouellet, postdoctorant à l’IRIS. Faut-il vraiment hausser les frais de scolarité ?, le rapport publié en mai 2011 par son collègue Éric Martin avec Simon Tremblay-Pépin, compare le modèle universitaire états-unien, dont s’inspire le reste du Canada et le Royaume-Uni, au modèle québécois. Le premier, qui contribue plus directement à l’économie, « laisse au privé une part importante dans le financement et l’orientation de l’enseignement supérieur », alors qu’au Québec, on « mise sur une forte participation étatique pour financer et dynamiser l’éducation postsecondaire ». La hausse des frais de scolarité signalerait que le Québec adopte de plus en plus un financement universitaire à l’anglo-saxonne afin d’améliorer sa compétitivité économique.
Maxime Ouellet et Éric Martin se montrent incrédules quand la CREPUQ et le gouvernement justifient la hausse des frais de scolarité par un manque de ressources des universités : si l’on cumule le financement du public, des étudiants et du privé, les dépenses globales au Québec sont déjà de 29242 $ par étudiant, soit 6 % de plus que la moyenne des autres provinces.
Transfert de la charge
En revanche, les études menées par les deux auteurs à l’IRIS indiquent une profonde modification de la structure du financement des universités : entre 1988 et 2009, les fonds publics sont passés de 87 % à 65,8 % du financement total des universités québécoises. Pour la même période, les fonds privés sont passés de 7,5 % à 22 %, la contribution des étudiants et de leurs proches de 5,4 % à 12,2 %.
« Les universités ne sont pas sous-financées. La hausse est imposée, parce que d’année en année le Québec se conforme davantage à un modèle de financement universitaire privé qui en demande plus aux étudiants et moins à l’État », conclut M. Martin.
Doit-on y voir un désintéressement de l’État à l’égard des établissements universitaires et craindre un excès d’influence du secteur privé sur l’orientation des recherches universitaires ? « Malheureusement, c’est une dynamique marchande qui se développe, affirme M. Ouellet. Les universités dédient de plus en plus de ressources financières à des projets qui sont profitables pour les investisseurs privés et elles se transforment en centres de recherche pour entreprises, au détriment de leur rôle primaire, la formation des étudiants. »
Dans le budget universitaire 2011-2012 du Québec, la part du financement public baissera encore jusqu’à atteindre 63,4 % en 2015. La part du secteur privé aura diminué à 19,7 %. Seule celle des étudiants augmentera significativement jusqu’à 16,9 %. En outre, les contrats et les subventions de recherches alloués aux universités ont doublé en dix ans au détriment de leur budget de fonctionnement et d’enseignement. De cette enveloppe de 1,3 milliard pour la recherche, 76 % sont destinés aux projets en sciences appliquées à potentiel commercial contre 8 % pour les sciences humaines et sociales. Les étudiants seraient donc doublement perdants, plus sollicités financièrement et privés de ressources pour leur éducation, alors que les entreprises récupèrent une part croissante d’un investissement dont la décrue est d’ailleurs amorcée.
À la mi-octobre, M. Martin et M. Ouellet publieront chez Lux éditeur Université inc., un ouvrage qui expose en détail leur théorie de la privatisation progressive du monde universitaire.