Si vous considérez le monde du travail comme une jungle impitoyable, vous êtes plus que jamais promis à un brillant avenir. Une récente étude publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology montre que la réussite financière est inversement proportionnelle à l’agréabilité au travail. Retour sur des résultats déprimants pour les bons gars et qui pourraient bien changer vos plans de carrière.
Do nice guys – and gals – really finish last ? (Les bons gars – et filles – finissent-ils vraiment derniers ?) Dès le titre de leur vaste étude publiée à la mi août, les trois chercheurs canadiens et américains donnent le ton. Ils s’appuient sur trois sondages menés sur deux décennies auprès de 10 000 salariés nord-américains pour « mesurer la notion d’agréabilité ». Ils concluent que les hommes considérés comme désagréables par leur entourage professionnel gagnent en moyenne 18,31 % de plus que leurs collègues perçus comme gentils.
Les résultats de la quatrième expérience, qui simulait un processus d’embauche avec 460 étudiants en gestion, ne sont pas plus rassurants pour les gentils : les CV suggérant un tempérament agréable étaient davantage écartés.
Moins requins en négociations salariales, plus conciliants, les gentils gagnent moins d’argent à l’embauche, mais leur humiliation ne s’arrête pas là: il appert qu’il n’y a aucun avantage à être plaisant au boulot puisque les personnes dites agréables ou se qualifiant comme telles sont même écartées des concours pour les promotions. Qui plus est, les gentils sont statistiquement plus sujets à l’épuisement professionnel et autres dépressions. Il n’y a pas à dire, les bons gars finissent toujours derniers.
Gérard Ouimet, professeur de psychologie au Service d’enseignement du management de HEC Montréal, n’est pas surpris de ces résultats dans le contexte nord-américain: « Aux États-Unis notamment, la réussite matérielle et la consommation sont des valeurs fondamentales qui éloignent de l’altruisme et du partage », explique-t-il. Le phénomène de valorisation des comportements agressifs ne serait donc pas juste un effet de la gestion des entreprises, mais de la société en général. Aussi, la logique du rendement à court terme qui prévaut actuellement en économie plonge les salariés dans une course contre la montre qui affecte leur empathie: « Pour s’ouvrir à l’autre, il faut prendre le temps de l’écouter», précise M. Ouimet.
De l’espoir pour les bons gars?
Si vous comptez faire de votre mauvaise humeur votre principal accélérateur de carrière, ne vous lâchez pas trop. Passé un certain niveau, un caractère fortement déviant peut entraîner l’effet contraire, comme le souligne le Wall Street Journal dans l’article commentant l’étude. Certains chefs d’entreprise conscients des effets pernicieux sur le climat de travail que génère l’embauche de fortes têtes, ambitieuses et désagréables, ont élaboré des politiques internes visant à punir les comportements méchants. C’est le cas notamment de Paul Purcell, PDG d’une firme en services financiers de 2 700 employés à Milwaukee. Avec sa politique « antinuisible », sa compagnie s‘est dotée d’un recours contre les attitudes improductives comme le harcèlement psychologique ou autres incivilités. Le programme a fait congédier jusqu’à maintenant 25 employés.
Pour contrer la suprématie des méchants, M. Ouimet propose aussi de véhiculer des expériences concluantes d’entreprises organisées autour de valeurs autres que la prédation sociale, comme le développement durable. Autre lueur au bout du tunnel, il constate que ses étudiants rejettent de plus en plus ce modèle « carrément inhumain ».
Mais ce n’est pas tout. Les chercheurs concluent sur un aspect non négligeable de l’agréabilité en milieu de travail : les gentils gagnent certes moins d’argent, mais leur rôle social au sein des entreprises est certainement enviable en comparaison à ces gestionnaires stressés, bourrus et obsédés par leur boulot. Sur ce, soyez gentils et organisez le prochain 5 à 7 !
JEAN-SIMON FABIEN