Culture

Glauque tribune

«Ce n’est pas une école d’art, c’est simplement une tribune populaire. Le meilleur côtoie le pire.» Voilà comment Yves Desgagnés, juge à L’échelle du talent, décrit l’émission. L’oeil candide y verra plutôt plusieurs artistes amateurs qui présentent leurs talents devant un public mécanique qui agite les bras sous le regard d’un animateur de foule sarcastique. Le débat est lancé : tribune populaire ou piètre spectacle de variétés ?

«Cette émission est une bonne excuse pour se faire de l’argent sur le dos du monde , affirme Martin Beddeleem, finissant à la maîtrise en philosophie politique. C’est un show de trois juges qui, du haut de leurs supposées compétences, classent les talents des participants. Comme si c’était possible de comparer toutes ces formes de talent.»

 

M. Beddeleem ne croit pas que L’échelle du talent soit une véritable tribune. «Si c’en était vraiment une, il faudrait que les participants aient un droit de parole et qu’ils puissent interagir entre eux. Dit-il. Le public devrait aussi pouvoir voter et décider du vainqueur».

Selon M. Beddeleem, les performances des candidats sont surtout une façon de mettre les juges en valeur. Il regrette spécialement que même celui qui gagne le premier prix, 1000 $, ne puisse pas s’exprimer. « Les participants viennent devant les juges et partent. On dirait presque une entrevue», dit le philopolitologue, déçu.

Marc Cassivi, chroniqueur à La Presse et panéliste à l’émission C’est juste de la TV, remet toutefois en perspective la responsabilité des participants à L’échelle du talent. « Ils sont consentants. Soutient M. Cassivi. Il ne faut pas être condescendant ou infantilisant avec les participants. Est-ce que certains se ridiculisent ? Parfois, lorsque le spectacle est très mauvais. Mais ce n’est pas de l’exploitation de la part des producteurs.»

 

De Kamouraska à Montréal

 

M. Beddleem évite d’être méprisant à l’égard des participants : «Les gens ne vont pas à cette émission pour s’exhiber. C’est une façon pour eux de valoriser leur quotidien, leur passe-temps. Ils n’y vont pas pour la récompense financière ridicule. Ils y vont pour faire plaisir à leur famille.»

 

Ça reste du talent amateur, comme le soutient Yves Desgagnés lorsqu’il atteste que «la grande majorité des gens quibviennent à l’émission n’auront jamais de vraie carrière artistique.»

 

« Je n’en reviens pas du monde qui sont dans leur sous-sol et qui décident de remplir le questionnaire de six pages sur Internet, puis qui partent de Kamouraska et font six heures d’auto jusqu’à Montréal pour faire les auditions », affirme Yves Desgagnés, d’un enthousiasme contagieux à propos de cette émission qui attire aussi les Québécois de toutes les origines.

Mais M. Beddleem croit tout de même que cette émission fait l’éloge d’une certaine médiocrité. «Pas la médiocrité des participants. Ce sont des amateurs qui veulent participer à une émission qu’ils regardent à la télévision. Non, ce qui me fatigue, c’est plutôt l’éloge d’une forme de médiocrité télévisuelle.»

 

Ce n’est pas la première fois qu’on accuse une émission de V, anciennement TQS, de donner dans le cheap, le racoleur, le cliché et les décors minables. «En plus, les prix sont ridicules et les juges ne valorisent absolument pas l’intelligence ni dans leurs  commentaires ni dans les interactions. Il y a la blonde de service entre les deux mâles qui font des blagues cochonnes», dit M. Beddleem.

«Est-ce que ça contribue à faire de la télévision québécoise une meilleure télévision? Non. Ça cumule peut-être à une certaine médiocrité ambiante, mais je n’enlève pas à cette télévision le droit d’exister», affirme M. Cassivi.

Yves Desgagnés, lui, n’a pas peur de répondre aux critiques de l’émission. Il soutient que c’est un exercice démocratique ouvert à tous et que ça permet aux gens d’entrer en contact avec la télévision. Il n’hésite pas à traiter de snobs les critiques de l’émission. «Ils ont tort», dit-il. Plusieurs Québécois semblent partager son avis, les cotes d’écoute de l’émission étant en hausse, ainsi que le nombre de candidatures reçues.

M. Cassivi commente: «Il y a tout de même quelque chose d’un peu sordide à regarder des gens qui présentent leurs talents cachés. Des talents qui n’en sont pas vraiment.» Voilà qui me rappelle le malaise éprouvé en observant une candidate manquer de souffle à la toute fin de son interprétation d’une chanson de Gabrielle Destroismaisons. Un juge, compatissant, croit que cette chanson était sans doute trop haute pour elle. «Mais c’est la seule que je connais par cœur», s’excuse-t-elle.

 

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