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Jérôme et le génome

Deux chercheurs de l’Université McGill veulent votre cerveau. Ils comptent s’en servir pour résoudre un problème. Une tâche si complexe qu’aucun ordinateur ne peut faire le travail. Afin d’y parvenir, ils ont créé un jeu : Phylo.

 

Devant l’écran de son ordinateur, Jérôme Waldispühl est bloqué. Le chercheur et moi tentons de trouver des ressemblances génétiques inédites entre un homme et un castor. Il y en a peu. En fait, nous essayons de résoudre un problème sur Phylo, dont M. Waldispühl et Mathieu Blanchette sont les instigateurs.

 

Phylo est décrit sur son site comme un outil de calcul humain pour génomique comparative, mais le joueur ne voit que des carrés de quatre couleurs différentes à aligner, un peu comme un cube Rubik. Aux yeux des créateurs, par contre, le joueur aligne des codes génétiques. En ligne depuis novembre 2010, Phylo n’a pas la popularité de Call of Duty, mais 500 à 1000 puzzles s’ajoutent chaque jour. Au total, plus de 200000 puzzles ont été complétés par les joueurs. Ces données accumulées sont précieuses aux chercheurs en génétique.

 

Les quatre couleurs des cubes Phylo représentent les quatre nucléotides (adénosine, cytosine, thymine et guanine) qui forment l’ADN. Lorsque l’on aligne les nucléotides de l’ADN de l’homme et, par exemple, du castor, on identifie quelles séquences génétiques ont été conservées à travers l’évolution. Si deux codes génétiques ont un passage identique au même endroit, c’est un bon indice que ce passage est important.

 

L’homme plus fort que la machine

 

Pourquoi ne pas simplement demander à un ordinateur d’accomplir la tâche ? Parce qu’un ordinateur essaiera bêtement toutes les possibilités d’alignement, aussi improbables soient-elles. Il prendrait un temps ridicule pour accomplir une tâche aussi complexe que la comparaison de génomes à trois millions de nucléotides.

 

De leur côté, les humains — du moins la plupart — ne réfléchissent pas comme des algorithmes. Pour une personne, reconnaître un motif, une image ou un visage est très intuitif, une tâche pour laquelle les ordinateurs sont notoirement inaptes. La reconnaissance de motifs abstraits permet aux joueurs de Phylo de se concentrer sur quelques alignements prometteurs. Grâce à leur intuition, les joueurs sont collectivement bien plus efficaces qu’un superordinateur.

 

Phylo s’ajoute ainsi au club restreint des games for purposes. Le plus connu de ces jeux est sans doute Foldit et ses 60 000 joueurs actifs. On vous y propose de trouver la manière la plus efficace de replier une protéine, une tâche trop complexe pour un ordinateur puisque certaines d’entre elles ont plus de façons de se replier qu’il existe d’atomes dans l’univers. Parlant d’univers, Galaxy Zoo demande aux internautes de scruter le ciel à travers des images prises par le satellite Hubble et d’identifier les formes des galaxies.

 

Un jeu différent

 

Jérôme Waldispühl soutient toutefois que son jeu est différent. Contrairement à Foldit et Galaxy Zoo, Phylo présente un puzzle dénué de notions scientifiques. «Je voulais présenter un problème abstrait avant de poser un problème de génétique », explique le chercheur. L’allure simple du jeu aide à résoudre les puzzles et rejoint un plus grand public.

 

Selon Gary Roumanis, étudiant de premier cycle en informatique à McGill et coprogrammeur de Phylo avec Alex Kawrykow, cette manière de faire de la recherche est prometteuse. « Alors que nous interagissons de plus en plus avec la technologie, je pense que ces jeux deviendront répandus. »

 

Quant à Jérôme Waldispühl, il affirme que ces puzzles sont plus qu’une façon de résoudre un problème génétique. Ils sont une forme de rationalisation du monde. Pour le chercheur, l’intuition et la logique humaine sont « des énergies renouvelables ». Des ressources qui attendent d’être utilisées à meilleur escient que Farmville ou le fil de nouvelles de Facebook.

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