À l’heure où Mouammar Kadhafi est prêt à négocier avec les insurgés pour quitter le trône de la Libye avec des garanties, il est toujours difficile d’identifier les acteurs de cette insurrection. Entre attaques et contre-attaques, les insurgés font leurs chemins vers le pouvoir. Point de mire sur la Libye, un pays à feu et à sang.
Plus de deux semaines après le début des révoltes, une grande partie de la Libye n’est plus sous le contrôle de Kadhafi. La région cyrénaïque* et deux villes autour de Tripoli, Zaoula et Misrata, ainsi que les terminaux pétroliers de Brega et de Ras Lanouf sont tombées aux mains des insurgés.
«Le régime ne pourra tenir longtemps. Il n’y a pas de retour en arrière possible », affirme Saïd Haddad, enseignant-chercheur à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en France et chercheur associé à l’Institut de recherche et d’étude sur le monde arabe et musulman. Le règne de Kadhafi prend fin.
Qui sont ces insurgés ? Difficile à dire. Quand Mouammar Kadhafi est arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État en 1969, il a interdit l’existence de tout autre parti politique. Le Guide de la révolution a fait taire tous les adversaires au régime.
Mais sous la chape de silence, une opposition s’est formée, comme en témoigne Saïd Haddad. «Elle s’articule autour d’anciens serviteurs du régime qui ont pris leur distance avec Kadhafi au fil du temps. L’opposition couvre l’éventail des sensibilités: des nationalistes aux nostalgiques de la monarchie en passant par les Frères musulmans. Il ne faut pas oublier les militants des droits de l’homme et les journalistes qui luttent pour plus de liberté, le plus souvent au péril de leur vie.» Le symbole de la révolte? L’ex-drapeau monarchique des Senoussi (tribu monarchique).
Contestation fragmentée
La contestation est fragmentée. La Libye est un immense pays désertique et peu peuplé, principalement de tribus nomades. Les insurgés se regroupent en clans, en fonction de l’origine ethnique et de l’appartenance géographique. Issa Attoubawi vit au Danemark. Il codirige le Front des Toubous pour le salut de la Libye. Dans une interview accordée à TV5 Monde, il évoque les différents mouvements opposés à la dictature de Kadhafi: «Il y a sept partis dont les plus importants sont: le Front national pour le salut libyen, le Front des Toubous pour le salut de la Libye, le Congrès national et le Rassemblement démocratique.»
Bien que dispersés, ces clans se sont déjà exprimés sous une voix commune. « Une conférence nationale a eu lieu à Londres et a réuni les principaux mouvements d’opposition en 2005, à l’exception des Frères musulmans, qui négociaient avec le régime la libération de leurs membres emprisonnés », affirme M. Hadad.
Kadhafi de plus en plus isolé
Contrairement à l’opposition, plurielle, le clan Kadhafi s’avère plus concentrique, comme l’explique Najib Lairini, professeur de sciences politiques à l’UdeM. «Le système politique du régime Kadhafi s’appuie sur une triple structure de pouvoir. D’abord le cercle restreint, ou clan Kadhafi, constitué de la famille rapprochée ainsi que ses plus fidèles lieutenants. Ensuite, les tribus alliées à celle de Kaddafedam (tribu de Kadhafi), dont beaucoup font défection et rejoignent la révolte. Et enfin, le troisième pilier du régime, les Comités révolutionnaires de la Jamahiriya (république des masses), structure idéologique.»
Ces pro-Kadhafi comptent sur une partie de la population, que le régime a armée ainsi que sur des mercenaires africains du Tchad, du Nigéria et du Sahraouis. L’armée a aussi participé à la répression, mais, selon M. Haddad, une grande partie a refusé de tirer sur la foule, a rejoint les insurgés ou a fui.
« Les ressources du régime s’affaiblissent de jour en jour, croit M. Lairini. Les champs pétroliers sont, pour la plupart, sous le contrôle de l’opposition. La pression internationale, contrairement aux cas de la Tunisie et de l’Égypte, est forte et proactive.» Le 1er mars dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies a voté la suspension de la Libye du Conseil des droits de l’homme en raison de la répression violente menée par Kadhafi. D’autres mesures sont à attendre.
Vers une sortie de crise
L’insurrection libyenne a franchi un palier, le 28 février dernier. « La création du Conseil national a été annoncée dans toutes les villes libérées de Libye », a déclaré Abdelhafez Gohga, porte-parole du Conseil. Cet avocat libyen, ancien ministre de la Justice et spécialiste des droits de l’homme, a démissionné du régime pour se joindre au camp des insurgés.
Aujourd’hui, c’est la figure emblématique de l’opposition. Quel avenir pour ce conseil ? Selon M. Haddad, il est encore trop tôt pour lui définir un rôle précis. «Le Conseil national se pense comme un instrument de transition et non comme une instance de pouvoir. L’essentiel pour lui est la chute de Kadhafi et de son régime.»
Autre acteur entrant dans l’échiquier libyen : les États-Unis. Une interdiction de l’espace aérien pour empêcher les bombardements de civils et une intervention militaire terrestre sont dans la liste d’options envisagées par les responsables militaires américains.
Si tout porte à croire que l’équilibre des forces est en train de s’inverser en Libye, la voie vers un pouvoir pluraliste semble encore longue.