Les livres audio transforment le rapport à la lecture traditionnelle. Ce format, de plus en plus populaire partout dans le monde, redéfinit la manière dont les individus consomment les œuvres littéraires. En mêlant accessibilité et immersion auditive, les livres audio séduisent un large public et influencent même la création littéraire, alors que l’écoute gagne du terrain sur la lecture classique. Le format audio ne serait-il pas l’avenir même du livre ? Quartier Libre s’est posé la question.
Phénomène en pleine expansion dans le paysage du divertissement, les livres audio ont connu un essor important depuis la pandémie. Les ventes ont en effet fortement augmenté, notamment aux États-Unis et en France, grâce à des plateformes comme Audible d’Amazon. Selon la société de conseil et d’études de marché américaine Grand View Research, le marché mondial du livre audio est passé de 4,2 milliards de dollars américains en 2021 à 8,6 milliards en 2024, et pourrait atteindre 35 milliards d’ici 2030.
Statistiques du Canada
Depuis 2013, l’organisme à but non lucratif BookNet Canada mène une enquête annuelle sur les habitudes de lecture des Canadien·ne·s. En 2023, 59 % des répondant·e·s déclaraient préférer les livres imprimés (contre 65 % en 2019), tandis que 13 % privilégiaient les livres audio (contre 8 % en 2019).
Lire ou écouter
Depuis l’arrivée du format audio, les habitudes des lecteur·rice·s évoluent. L’associé de recherche en ingénierie environnementale à Polytechnique Montréal et adepte de livres audio Matthieu Moreau confie qu’il « écoute souvent un livre audio, plutôt que de la musique, ou un podcast » lorsqu’il met des écouteurs. Depuis qu’il a commencé à utiliser Audible, il a dû « en écouter neuf ou dix ».
Le recours aux livres audio rend également la lecture plus accessible à de nombreuses personnes, notamment les allophones ou celles qui rencontrent des troubles de l’apprentissage, et peut donc répondre à certains enjeux. « À la base, je ne suis pas du tout un grand lecteur, explique M. Moreau. Je décroche beaucoup, je commence à lire un livre et puis j’arrête. Ce n’est pas un vecteur d’information qui est simple pour moi, je comprends beaucoup plus l’information en écoutant qu’en lisant. »
De son côté, l’étudiante de dernière année à la maîtrise en communication à l’UdeM Chloé Brindos est une grande adepte du format papier et n’est pas prête à l’échanger pour l’alternative auditive. « L’avoir physiquement dans mes mains est important pour moi », témoigne-t-elle. Elle pense toutefois que le livre audio offre une plus grande immersion que son format papier, en partie grâce à l’effet des écouteurs. Elle admet également que le livre papier représente un coût, alors que les formats audio sont souvent plus accessibles. « On trouve facilement les livres audio sur les plateformes, avec les abonnements, et puis tout le monde a un téléphone aujourd’hui », souligne-t-elle.
L’égal du papier ?
La cofondatrice et directrice générale de la plateforme québécoise d’écoute et d’achat de livres audio Narra, Joanie Tremblay, s’est tournée vers ce format quand elle est devenue mère, faute d’avoir du temps pour lire, la lecture étant pour elle un besoin. « Que ce soit avec les oreilles ou avec les yeux, pour moi, c’est comme rajouter du bonheur à toute chose », confie-t-elle. Le livre audio lui donne l’occasion de diversifier ses lectures et, cognitivement, elle trouve ce format moins fatiguant.
M. Moreau, lui, ne voit pas de différence entre les deux modes de lecture. « Quand je lis un livre, j’ai la petite voix dans la tête comme la plupart des gens, donc ça s’apparente plutôt à la même chose, estime-t-il. En revanche, ça prend toute mon audition. Si ma copine m’appelle, je ne l’entends pas. Je suis moins attentif au monde extérieur. »
La recherche scientifique, quant à elle, n’a à l’heure actuelle pas identifié de différence notable dans la façon dont le système cognitif traite un livre papier et son homologue audio. En 2019, la Société des neurosciences française a en effet prouvé que le cerveau traitait les mots de manière similaire, qu’il les lise ou les entende. Une étude de l’association britannique National Literacy Trust menée au Royaume-Uni en 2020 a toutefois révélé que le livre audio favorisait la lecture et le développement émotionnel, particulièrement chez les jeunes.
Selon Mme Tremblay, l’aspect pratique et la disponibilité immédiate constituent les deux principaux avantages des livres audio. « Quand j’en finis un, j’en prends tout de suite un autre, je n’ai pas besoin d’aller en librairie », souligne-t-elle. Elle attribue notamment l’engouement pour ce format aux modèles d’abonnements que proposent les géants des applications de lecture audio comme Audible. M. Moreau, quant à lui, trouve ces derniers encore coûteux, ce qui limite leur accessibilité.
Quel financement ?
Ces dernières années, le milieu québécois de l’édition a bénéficié d’un financement d’environ 22 millions de dollars de la part de Patrimoine canadien, une initiative visant à « encourager l’industrie canadienne du livre à intégrer des fonctions d’accessibilité à la production et à la distribution de livres numériques (incluant les livres numériques et audio) », selon le site Internet du gouvernement fédéral1. Ce soutien a permis à plusieurs entreprises de se lancer dans la production de livres audio. Maintenant que le programme est terminé, plusieurs d’entre elles s’inquiètent de voir les coûts liés à la production de livres audio dépasser leurs moyens financiers.
L’avenir du livre
Le chercheur en ingénierie environnementale pense toutefois que le livre audio fait pleinement partie de l’avenir, bien que « pour le moment, le papier soit plus accepté dans la société ». Pour sa part, Chloé n’y voit pas non plus une concurrence au livre papier, affirmant que « c’est juste une autre pratique ».
Mme Tremblay, experte sur le sujet, estime que l’avenir du livre ne peut se concevoir sans le livre audio, tout en soulignant la nécessité de trouver un équilibre entre impressions papier et ventes numériques. « On imprime beaucoup de livres, peut-être trop aussi ? s’interroge-t-elle. Ça a des coûts économiques, mais écologiques aussi. Je vois l’avenir du livre avec un peu plus d’équilibre, peut-être, dans les formats. »
Les livres sont-ils d’ailleurs désormais pensés pour le format audio ? « Avant, j’aurais dit non, absolument pas, mais maintenant, les auteurs sont de plus en plus intéressés par la version audio, affirme la cofondatrice et directrice générale de Narra. Ils veulent que leurs livres soient faits en audio, ils ont envie de ça ». Dans le cadre de sa profession, elle explore désormais un nouveau terrain : la création de livres pensés exclusivement pour l’audio, dès leur conception. Ces œuvres exploiteraient ainsi pleinement les particularités de ce format, comme l’immersion sonore ou la narration dynamique, et pourraient ultérieurement faire l’objet d’une impression. Cette approche ouvrirait ainsi la voie à une créativité différente, en mettant l’accent sur une expérience d’écoute optimale plutôt que sur une lecture classique.
Malgré un développement important, le marché québécois du livre audio accuse cependant du retard par rapport aux géants internationaux du secteur, notamment en raison d’un manque de financement. Bien que les initiatives comme Narra ou la plateforme de baladodiffusion de Radio-Canada, OHdio, démontrent le potentiel de ce format, elles ne parviennent pas encore à le démocratiser.
Recommandations d’amateur·rice·s de livres audio
- Matthieu Moreau recommande Le Silmarillion de John Ronald Reuel Tolkien, lu par Thierry Janssen, sur Audible.
- Joanie Tremblay recommande Le sommeil des loutres de Marie-Christine Chartier, lu par Catherine Brunet et Antoine Pilon, sur Narra.
- Sarah Collardey recommande Becoming de Michelle Obama, lu par Michelle Obama, sur Audible.
- Gouvernement du Canada (2024) : Livres numériques accessibles — Soutien aux organismes. En ligne, consulté le 1er février 2025 : ‹https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/financement/fonds-livre/livres-accessibles-organismes.html›.
