« Nous allons nous battre, et même aller en prison pour notre pays, et y instaurer un système d’élections libres », déclare Abdel Monem Aboul Fotouh, leader libéral des Frères musulmans. Malgré ces promesses, les Frères musulmans ne peuvent plus être un parti politique officiel depuis 1984. Mais qui est ce groupe qui se tapit dans l’antichambre du pouvoir égyptien ?
En 1928, Hassan al-Banna fonde le parti des Frères musulmans en lui conférant une doctrine islamiste dans ses « 50 demandes » [voir encadré]. Alors que l’on pourrait croire ces idées périmées, Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient, précise que l’association a actuellement pour objectif « de “réislamiser” le champ social, économique, judiciaire, administratif et politique dans lequels les Frères musulmans vivent». Il semble que le parti soit resté conservateur.
Pourtant, selon Samy Massoud, professeur au département d’histoire de l’Université de Montréal, les Frères musulmans « tentent d’instaurer le programme d’État islamiste tout en sachant qu’ils ont des contraintes extérieures importantes. C’est pourquoi on observe une évolution de la pensée, notamment chez les jeunes du parti. Malheureuse – ment, un problème demeure, celui de la dissension générationnelle». Le parti reste dirigé par un groupe de septuagénaires qui sont sans doute plus susceptibles d’être décalés par rapport à la voix du peuple.
Une base sociale solide
« Alors que les idéologues islamistes dans le reste du monde arabe sont coupés de la réalité des aspirations populaires, les Frères musulmans tentent, quant à eux, d’y répondre », dit Katia Haddad, titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie à Beyrouth. L’organisation transforme des mosquées en hôpitaux de fortune dans lesquels agit le Comité d’urgence des médecins arabes.
Mathieu Guidère, titulaire de la chaire Islamologie et pensée arabe à l’Université de Toulouse, nuance toutefois cette assise sociale à laquelle se vouent les Frères musulmans. « À défaut de pouvoir s’appliquer à un islam politique à cause de l’interdit du pouvoir en place, ils se sont tournés vers un islam populaire. »
Une opposition « officielle »
Malgré cela, Samy Massoud rappelle que «les Frères ont réussi à rester un pouvoir d’opposition très bien organisé». Cela s’explique par leur longue histoire [voir encadré], mais aussi par un accord tacite entre les Frères musulmans et le parti au pouvoir. Les premiers acquièrent leur liberté politique relative en promettant allégeance au second. La preuve en est qu’ils « n’ont pas été les meneurs de la révolution égyptienne actuelle », selon Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe.
Même si les Frères musulmans s’affichent comme étant un contre-pouvoir, ils «optent pour un attentisme actif aux relents réformistes », soutient Antoine Sfeir.
Le 11 février dernier, Hosni Moubarak démissionne, ce qui marque la fin d’un pouvoir militaire instauré depuis 30 ans. Les Frères musulmans peuvent alors espérer accéder au pouvoir par les urnes. À l’heure actuelle, ils réclament un scrutin libre sans donner de précisions sur leurs intentions futures dans le cas d’une victoire. Antoine Sfeir soutient que «leur programme est de bâtir un islamisme neuf, ce qui est une brèche dans la laïcité».
Néanmoins, un programme islamique ne signifie pas la dictature. Ce qui donne une certitude à Antoine Sfeir. «On a besoin d’associer les Frères musulmans au futur gouvernement égyptien.» En effet, si une élection démocratique avait lieu en Égypte, les Frères musulmans jouiraient d’une bonne base électorale.
Les 50 demandes d’Hassan El-Banna
• 10 demandes sur le politique, le judiciaire et l’administration: établissement d’une société gouvernée par des lois islamiques employant des fonctionnaires sous haute surveillance.
• 30 demandes sur l’éducation et la société: séparation des hommes et des femmes dans le cadre scolaire, proscription de toute relation mixte hors du mariage, encouragement de l’écriture de livres promulguant la foi de l’islam en ayant préalablement interdit ceux qui s’opposent à celle-ci. application de ces règles assurée par la police des moeurs, la hisba.
• 10 demandes sur l’économie: renoncement à l’idée de profit et nationalisation de toutes les entreprises étrangères.
Les dates
1928 : Hassan al-banna fonde l’association des Frères musulmans.
28 décembre 1948: assassinat du premier ministre égyptien attribué à l’organisation.
Février 1949: assassinat d’Hassan al-banna par le gouvernement en représailles.
1954 : dissolution du parti par l’état.
Depuis 1984 : Les Frères sont reconnus comme une «organisation religieuse» et présentent leurs candidats éligibles sur des listes indépendantes, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas reconnus comme un parti politique par le pouvoir.