Culture

Nouvelle : Une soirée comme les autres

Illustration : Juan Pablo Molina Reina

Sa tendresse, ses mots doux qu’elle t’abandonne, l’air de rien.

En un été, elle avait donné à tous la sensation d’appartenir à un corps plus grandqu’eux, à une famille dont elle était le sang en commun.

J’avais laissé sans réponse de trop nombreuses invitations.

Néanmoins, ce soir-là, à la réception de son appel, au ton contrarié de sa voix qui enroulait d’une main experte sa toile d’araignée autour de ma volonté, je m’étais retrouvée à exister au milieu de ces gens que je connaissais à peine et dont toutes les manies m’agaçaient.


Les éclats de rire traversaient les verres à moitié vides sur la table, se chargeaient d’alcool et du bruit des grillons pour se perdre au-dessus de nous. Seule sa voix se distinguait parmi le brouhaha des convives, s’infiltrait dans leurs pores, les abreuvait de cette folie au goût de menthol et de tabac froid.

Qu’elle aimait crier, si fort – gonfler ses poumons de tous les décibels orphelins reniés par les lâches, les indécises, les calmes, les timides, les angoissées – à en assourdir toute la planète, et les feux d’artifice qui s’échappaient de sa bouche projetaient des arcs-en-ciel d’adoration sur les pupilles des convives.

Surtout, elle ne s’arrêtait pas. Marie ne s’arrête jamais : dans sa poitrine se cache un machiniste chevronné qui la gorge de charbon, d’essence pour faire tourner son petit monde cacophonique sans la moindre halte.

«… Donc, moi je lui ai dit: c’est hors de question! Tu peux te prendre ta jolie amende et te la mettre là où je pense!»


Ils adoraient son impudeur, je la craignais.

Elle vous déshabillait du regard, fouillait dans votre ventre pour en sortir l’âme et en extraire une bonne histoire. Pudique, je gardais mon manteau de silence et mon bonnet de discrétion en sa présence.

Ce crépuscule de juillet, elle en avait pourtant décidé autrement.

«Tu fumes, ma belle?»


Mon cœur était tombé au fond de mes doigts de pied. Des sourires pas bien droits me fixaient, tous les yeux s’étiraient jusqu’aux oreilles. Ils lorgnaient, les cils en forme de points d’interrogation qui dégoulinaient de salive. Je secouais la tête de droite à gauche avec un peu trop d’aplomb, elle devait lire la terreur sur les plis de mon front qui se creusaient à chaque seconde.


«Tu m’accompagnes quand même?»


Tous s’imaginaient les interludes-cigarette avec Marie comme une aventure dont on revenait changé. Chaque soir, elle piochait un émissaire pause-clope chargé de la divertir parmi ses plus loyaux adeptes, et ces derniers ne révélaient jamais les secrets qui s’y déroulaient.

J’étais paniquée, elle aurait dû choisir n’importe qui d’autre.

Puis – je me faisais la réflexion en observant ses fossettes mutines qui attendaient ma réponse – nombreux étaient ceux qui rêvaient de pouvoir lui glisser en tête-à-tête comme elle était drôle, comme elle était jolie avec son petit nez froncé et ses airs de Parisienne, comme ils auraient voulu voir ce qui se cachait sous ses robes de soleil et ses délices –


«Allô! Tu viens ou pas ?»


Devant l’immeuble, Marie s’était adossée, avait dégainé son briquet.


Elle l’avait approché de la cigarette coincée entre ses lèvres et immédiatement, le bout s’était enflammé. À mon tour d’être consumée, quand elle m’avait lancé avec sa désinvolture éternelle :

« Toi non plus, tu peux pas les supporter, avoue?»

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