Le documentaire Okurimono, réalisé par la Québécoise Laurence Lévesque, est un voyage à Nagasaki. Il fait acte de mémoire en invitant le public à naviguer parmi les témoignages et les souvenirs des habitant·e·s. Quartier Libre a assisté à la projection du film à la Cinémathèque québécoise le 22 novembre dernier lors des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).
Noriko Oi, une Canadienne d’origine japonaise, revient à Nagasaki pour mettre en vente la maison de son enfance, une vingtaine d’années après le décès de sa mère. Survivante du bombardement atomique survenu le 9 août 1945, cette dernière n’a jamais parlé de cette tragédie à sa fille, qui est hantée par cette absence et ce silence. Petit à petit, le déménagement se transforme en une douloureuse mais nécessaire quête de mémoire.
Sorti en 2024, Okurimono est le premier long-métrage de la réalisatrice Laurence Lévesque. Déjà lauréat du Earl A. Glick Emerging Canadian Filmmaker Award, il est actuellement en lice dans le cadre de la compétition « Nouveaux Regards » aux RIDM.
Le chant des cigales et de la sirène
Okurimono est avant tout un documentaire qui prend grand soin de laisser écouter les bruits de la vie au public. Que ce soit à l’intérieur de la maison familiale avec le frottement de cartons, ou à l’extérieur avec les roulis de vagues ou le passage des voitures au loin, l’espace se transforme en lieu d’expression privilégié du son, délivrant un spectacle sensible et sensoriel. L’absence de paroles rend le film peu bavard dans l’ensemble.
À l’image, la nature foisonne et déploie un somptueux couvert végétal garni de fleurs qui habille la terre et les tombes. En évoluant au cœur de ce théâtre de verdure, Noriko déambule au son d’une apaisante mélodie : celle des cigales qui chantent en chœur, composant une douce symphonie rurale. Comme le mentionne une hibakusha (terme japonais désignant les victimes des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9 août 1945), les cigales marquent la présence de l’été. Lorsqu’en 1945, la bombe atomique s’est abattue sur le village, elles ont cessé de chanter pendant toute la saison. Dans la bande-son du film, les cigales jouent d’ailleurs un rôle crucial, car leur concert s’interrompt lorsque retentit la sinistre sirène de commémoration de cette tragédie, avant de reprendre de plus belle.
Ce(ux) qui reste(nt)
À travers une quête intime destinée à comprendre les sentiments traumatiques refoulés par sa mère, Noriko s’entretient avec des survivant·e·s afin de recueillir leurs souvenirs. Si d’effroyables récits apocalyptiques sont partagés, aucune archive ne les illustre, comme pour signifier que le témoignage se suffit à lui-même. La caméra se braque sur les personnes qui restent pour aborder le passé.
Dénué de violence visuelle, le documentaire mise de fait beaucoup sur le hors-vue et s’en remet à l’imagination des spectateur·rice·s. Ainsi, la réalisatrice remplace des preuves historiques, potentiellement crues, qui pourraient gagner à être montrées, par d’époustouflants paysages de Nagasaki. Or, ce manque de matériau ne permet pas d’accomplir une plongée complète dans l’intimité du récit personnel de Noriko. Son histoire demeure finalement presque survolée, jamais entièrement relatée. En résulte alors une structure lacunaire, peuplée de nombreux vides, de silences et de fantômes, que des panoramas de la ville semblent parfois arbitrairement combler.
Offrir un cadeau mémoriel
Le film entretient ainsi un rapport particulier à la distance, en faisant de la caméra un témoin discret et respectueux de la pudeur émotionnelle de la protagoniste. Bien que peu substantielle, l’œuvre, par son rythme lent, inspire le recueillement, tout en encourageant la méditation grâce à son atmosphère teintée d’une sérénité immaculée. Okurimono, dont le titre signifie littéralement « cadeau » en japonais, est une offrande au monde et un hommage personnel empli de sincérité. En réalisant ce documentaire sensible, Laurence Lévesque affirme solennellement que « chaque acte de mémoire est un acte de résistance » et qu’il se doit d’être aussi bien transmis que préservé à tout prix.
Photo couverture ©Images du film