L’exposition Les Femmes dans l’industrie musicale à Montréal, qui se tient au Musée des ondes Emile Berliner (MOEB), explore le rôle crucial, mais souvent invisibilisé, des femmes de l’industrie musicale montréalaise. Présentée jusqu’en mars 2025, elle est l’occasion de découvrir pourquoi leurs histoires sont si peu connues.
« Nous espérons pouvoir montrer comment les femmes ont progressivement accédé à tous les rôles dans l’industrie musicale au cours des 125 dernières années, ainsi que les lieux et les moments où les femmes ne sont toujours pas représentées », explique la directrice du MOEB et co-organisatrice de l’exposition, Anja Borck.
Mise sur pieds par Mme Borck et la cher- cheuse au MOEB Anna Waschuk, Les Femmes dans l’industrie musicale à Montréal dévoile des récits inédits sur la contribution des femmes à cette industrie dominée par les hommes. En effet, l’histoire de la musique est liée au secteur de la technologie, dans lequel les femmes occupent moins d’un tiers des postes dans le monde, selon la sous-secrétaire générale des Nations unies et directrice exécutive d’ONU-Femmes, Sima Bahous.
Mettre en lumière les femmes invisibilisées
Sur scène, derrière les machines à écrire, dans les bureaux, devant un orchestre, dans la publicité ou encore dans les usines, les femmes ont toujours joué un rôle central au sein de l’industrie musicale montréalaise. Pourtant, l’histoire officielle les a effacées. « Elles étaient nombreuses, dans toutes les entreprises musicales et dans toutes les usines, mais elles sont restées anonymes », souligne Mme Borck.
Pour Mme Waschuk, mettre en valeur la contribution des femmes implique d’inclure des récits qui ne seraient pas relatés dans de plus grands musées. « J’espère que les gens reconnaîtront que les femmes ont contribué à chaque partie de l’industrie musicale, même [lorsqu’elles] n’étaient pas des vedettes, des inventeurs de génie », ajoute-t-elle.
La recherche des deux organisatrices dans les différentes archives a permis de mettre de l’avant un certain nombre d’histoires. L’exposition révèle ainsi que des femmes étaient présentes dans les usines de la Berliner Gramophone Company, créée par l’ingénieur et inventeur du gramophone Emile Berliner, dès les années 1910. Des plans architecturaux de 1921 dévoilent même qu’autant de toilettes étaient prévues pour les hommes que pour les femmes, confirmant une présence féminine importante sur le lieu de travail. Elles occupaient alors des rôles dans le pressage des disques ou la gestion des bureaux.
L’ancienne employée de l’usine de Radio Corporation America (RCA), qui abrite désormais le MOEB, Cécile Roussin est un exemple marquant de cette contribution féminine. En 1988, elle a fait don au Musée d’objets personnels qui rappellent son travail en tant que commise aux coûts. Le poste qu’elle occupait, essentiel pour la gestion et la comptabilité, était néanmoins peu reconnu. Mme Roussin jouait pourtant un rôle clé dans le suivi des dépenses et l’optimisation des ressources, contribuant à la bonne santé financière de l’entreprise.
La directrice du MOEB, Anja Borck, espère que l’exposition permettra au public de prendre conscience que les femmes ont toujours été présentes dans ce milieu. Crédit Photo : Clément Souchet
Les femmes en scène
Le rôle des femmes ne se limitait toutefois pas aux tâches administratives ou techniques. Ces dernières ont également façonné le paysage musical montréalais sur scène. Parmi les pionnières, la violoniste et cheffe d’orchestre Ethel Stark a dirigé la Symphonie féminine de Montréal, qui a offert aux musiciennes la possibilité de se produire professionnellement dans les années 1940.
De plus, les clubs de jazz de Montréal, emblèmes de la ville des années 1920 aux années 1950, ont vu un certain nombre de femmes noires en tête d’affiche. Elles étaient au cœur des spectacles dans des établissements comme le Rockhead’s Paradise ou le Terminal Club. Ces femmes ont influencé l’évolution du jazz à Montréal, tant par leur présence sur scène que par leurs performances musicales. En effet, les clubs exploitaient l’image des show girls, car ils dépendaient de ces dernières pour attirer le public.
Mme Waschuk précise toutefois que l’un des défis de l’exposition a été de trouver un équilibre dans la narration pour éviter de réduire l’histoire des femmes de l’industrie musicale montréalaise à des récits de lutte ou d’oppression. L’idée était plutôt de célébrer leur succès, leur résilience et leur capacité à transformer l’industrie malgré les obstacles.
Défis archivistiques et financiers
Malgré quelques recherches sur les années 1980-1990 et la conduite d’entrevues, le MOEB ne possédait que très peu d’archives sur les femmes de l’industrie musicale de cette période. « La section où l’on a trouvé le plus de femmes, c’était dans les publicités », révèle Mme Waschuk. Les campagnes publicitaires visaient alors à séduire un public masculin par la sexualisation des corps féminins.
Le manque de documentation pour ces décennies a influencé les instigatrices de l’exposition dans leurs méthodes de travail bien que l’emprunt d’archives à d’autres musées se révèle coûteux. Mmes Waschuk et Borck ont dû collaborer avec des centres d’archives externes pour compléter leurs recherches. « On a eu beaucoup de difficultés à trouver des images de femmes », avoue Mme Borck.
L’exposition a bénéficié d’une subvention de la Ville de Montréal et du gouvernement du Québec, qui gèrent conjointement le programme d’aide financière Patrimoine montréalais. Même si ces fonds ont contribué à sa mise en place, celle-ci ne s’est pas faite sans difficulté. En effet, le bâtiment du MOEB était en rénovation pendant son élaboration. Les organisatrices ont donc dû trouver d’autres locaux pour la tenue de l’exposition, et la superficie du nouveau lieu, plus petite que celle initialement prévue, a entraîné une augmentation des coûts. Pour combler le manque d’espace, elles ont notamment décidé d’ajouter d’une composante numérique, dont un programme à écran tactile, pour inclure des documents supplémentaires comme des vidéos et des clips audio. « Il y a une énorme quantité de travail caché dans ces vitrines », précise Mme Borck.
Un appel à réintégrer les femmes dans l’histoire
Les Femmes dans l’industrie musicale à Montréal invite donc à repenser l’histoire dominante. En mettant en avant les femmes qui ont participé à l’enregistrement, à la production et à la diffusion musicale, l’exposition incite à reconsidérer la place des femmes dans un secteur encore largement dominé par les hommes. Selon une étude de la fondation Musicaction, parue en 2022, la plupart des femmes du secteur musical estiment encore que leur travail est moins reconnu que celui des hommes. D’autre part, plus de la moitié d’entre elles disent avoir été victimes de harcèlement psychologique ou sexuel.
Mme Borck espère que l’exposition permettra au public de prendre conscience que les femmes ont toujours été présentes dans ce milieu. Elle ne compte d’ailleurs pas s’arrêter en si bon chemin. Avec son équipe, elle prévoit de faire une exposition sur l’histoire du bâtiment, incluant toujours une réflexion sur la place des femmes dans cette industrie. « Mon espoir est que toutes nos futures expositions abordent la façon dont les sujets ont été influencés ou façonnés par les femmes », espère-t-elle.
Adresse
1001, rue Lenoir, local A-108, Montréal
Stationnement sur la rue Lenoir pendant la fin de semaine.
Heures d’ouverture
du lundi au vendredi de 10 h à 16 h
le samedi et le dimanche de 14 h à 17 h
Le musée est fermé toutes les fins de semaine fériées et du 24 décembre au 6 janvier.
Tarifs
adulte: 8 $, étudiant: 5 $, groupes de cinq personnes et plus : 5 $ par personne