Alors que ses collègues de la Faculté de droit de l’UdeM se penchent sur le droit des assurances ou les résiliations de contrat, Jean-Sébastien Sauvé a plutôt choisi de se concentrer sur la question de la détermination du sexe et du changement de sexe dans la législation québécoise. Entretien sur les obstacles juridiques placés devant ces adultes nés dans un corps qui n’est pas le leur.
Quartier Libre : Qu’est-ce que le sexe, du point de vue du droit ?
Jean-Sébastien Sauvé : Lorsqu’on lit le mot sexe dans la législation, le sens de ce terme peut changer selon la loi que l’on a sous les yeux. Dans la Charte des droits et libertés de la personne, on parle bien sûr du côté biologique de la personne, mais aussi de certains éléments qui sont clairement liés au sexe. Par exemple, la Cour suprême du Canada a déterminé que discriminer une femme sur la base d’une grossesse constituait une discrimination fondée sur le sexe. Donc, sur le plan des droits et libertés, la notion de sexe prend un sens beaucoup plus large. Mais pour les questions de détermination du sexe, qui sont liées à l’état civil, c’est beaucoup plus restrictif. À la naissance, on observe seulement les aspects morphologiques du nouveau-né. A-t-il un pénis ? A-t-elle un vagin?
Q.L. : Comment fait-on pour changer de sexe aux yeux de la loi au Québec ?
J.-S. S. : Cela implique une chirurgie pour obtenir les caractères sexuels de l’autre sexe, celui que l’on veut adopter.
Q.L. : Y a-t-il un autre moyen que la chirurgie ?
J.-S. S. : Non. Certes, une personne transgenre, qui décide de vivre selon les normes de l’autre sexe – les vêtements et le comportement, par exemple – sans subir d’opération, aura certaines protections légales. Un employeur ne peut pas, sur cette base, discriminer cette personne. Mais cette dernière, sans opération, ne peut pas obtenir le changement de son sexe sur son acte de naissance. Dès la fin des années 1970, au Québec, on a considéré que changer de sexe était une possibilité légale. Mais la chirurgie était déjà obligatoire.
Q.L. : Quelqu’un peut-il se lever un matin et décider qu’il change de sexe ?
J.-S. S. : Non, il y a des conditions à respecter qui sont prévues dans des protocoles médicaux, comme celui d’Harry-Benjamin, pour s’assurer que la volonté et le besoin du patient sont réels. La chirurgie, c’est toujours en dernier recours. Les médecins vont s’assurer qu’il s’agit bien d’une personne qui est transsexuelle, et plusieurs évaluations psychologiques suivront. La décision revient au médecin.
Q.L. : Les questions légales que vous explorez remettent-elles en question la conception que nous avons du sexe ?
J.-S. S. : C’est ce que j’analyse. Est-ce que le droit pourrait permettre de considérer qu’une femme peut avoir un pénis et un homme avoir un utérus ? Bien sûr, cela remettrait en question plusieurs principes législatifs. Pourquoi a-t-on décidé de soumettre les individus à des conditions aussi extrêmes pour changer de sexe? On impose quand même à ces gens-là de subir une chirurgie, ce n’est pas rien. Y a-t-il des raisons derrière cela? Quel est le rôle des caractères sexuels apparents, de nos jours? Lorsque le mariage homosexuel était illégal, c’était pertinent pour empêcher deux conjoints de même sexe de s’unir. Certaines professions étaient ouvertes seulement aux hommes, et d’autres seulement aux femmes. Mais aujourd’hui, est-ce encore justifié? Voilà le domaine de mes recherches.
Q.L. : C’est donc très difficile de définir le sexe, du point de vue du droit…
J.-S. S. :Je n’ai que des questions à vous poser. Est-ce une réalité sociale qui est en jeu, la manière dont les autres me considèrent ? Est-ce une réalité génétique ? Est-ce la vérité anatomique ? Laquelle doit primer dans tout cela ? C’est une question de point de vue.