Quartier Libre (Q. L.): Miriam Cohen, en quelques mots, qui êtes-vous?
Miriam Cohen (M.C.): Je suis immigrante de première génération du Brésil, originaire de Rio de Janeiro. Je suis arrivée à Montréal pour étudier à la Faculté de droit de l’UdeM.
J’ai pas mal voyagé pour mes études, pour aller aussi à Cambridge et à Harvard. Par la suite, j’ai eu la chance d’obtenir un poste à LaHaye, aux Pays-Bas. J’y ai travaillé pendant six ans, entre la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice.
Je suis devenue professeure agrégée à la Faculté de droit de l’UdeM en 2018. Je donne aussi plusieurs cours sur le droit international, le droit pénal, la justice pénale, mais aussi de nouveaux cours que je prépare sur la résolution des différends internationaux.
En plus de cette fonction, j’ai aussi obtenu une chaire de recherche du Canada inaugurée en 2022, sur les droits de la personne et la justice réparatrice internationale. Ça a été un peu long de la mettre en place. Bref, je suis très occupée [rires] !
Q.L.: Qu’est-ce qui vous a amenée à venir étudier à Montréal?
M.C.: J’ai toujours été très intéressée par le monde. Dans la mesure où le Brésil est un pays unilingue, j’ai tout de suite voulu apprendre d’autres langues étrangères.
On est le seul pays d’Amérique du Sud parlant le portugais, ce qui pousse à vouloir s’ouvrir au monde. J’ai appris le français, l’anglais et l’espagnol pour lire et apprendre des choses sur les autres cultures. C’était pour le plaisir.
J’ai eu l’idée de partir de mon pays natal pendant mes études universitaires, tout juste après mes 20 ans. Ma sœur était déjà au Canada, et l’idée d’aller étudier le droit dans un autre pays m’attirait.
Q.L.: Est-ce que cette immigration, aussi jeune, a été compliquée?
M.C.: J’en parle souvent à mes étudiants. On a toujours dans l’idée qu’aujourd’hui, c’est très facile, mais au début… le processus a été très compliqué!
Je ne veux pas dire que ça a été une aventure, mais bon, partir dans un pays étranger, parler une langue qui était ma quatrième et m’immerger dans la culture francophone… C’était presque un projet de vie.
Au Québec, je me sens vraiment dans ma terre. Quand j’ai eu l’occasion de boucler la boucle et de devenir professeure à l’UdeM, je n’ai vraiment pas hésité à accepter. J’ai cumulé tellement de bons souvenirs et de rencontres formidables.
Q.L.: Pourquoi avoir choisi d’étudier le droit et surtout la justice réparatrice internationale?
M.C.: J’ai toujours voulu avoir un emploi dans le milieu du droit. Je songeais d’abord à devenir diplomate, mais il y avait trop de négociations [rires]!
Mon père aussi est juriste. Je le suivais au tribunal quand j’étais plus jeune. Ça m’a aidé à confirmer mon choix, ça m’a rassurée.
Le droit international, j’ai trouvé ça assez difficile. C’est très large et assez inaccessible quand tu sors de l’université, mais j’ai eu une grande chance, à l’École du Barreau, en obtenant un stage à la Cour pénale internationale. J’étais fascinée, car l’idée de la justice était encore très abstraite dans ma tête.
Pendant mes deux maîtrises, je me suis spécialisée en droit international pénal et en droit international des droits de la personne, ce qui va très bien ensemble [rires]! Ça a été mon premier contact avec la justice réparatrice et la justice des victimes.
Q.L.: La justice réparatrice internationale, qu’est-ce que c’est?
M.C.: Officiellement, ce sont les réparations pour les violations des règles du droit international, surtout pour les violations des droits de la personne et les crimes internationaux. Une victime peut demander à la Cour pénale internationale des réparations dans le cadre d’un procès d’un auteur de ces crimes.
Dans ma conception, c’est beaucoup plus large, et ça ne se limite pas qu’aux questions de procédures au tribunal. Il faut se poser la question: «comment réparer l’irréparable?» C’est très complexe à conceptualiser. Les victimes ne sont pas justes spectatrices, elles sont parties prenantes des procès.
On pense souvent à la compensation, un montant en argent. Il y a aussi la réhabilitation, la restauration de propriété. Il faut rendre la situation comme elle était avant l’acte. La réparation peut aussi être symbolique, comme la construction d’une installation au service d’une communauté, mais elle peut aussi se présenter sous forme d’excuses officielles émises par un État.
Q.L.: Le milieu de la justice est majoritairement composé d’hommes. En tant que femme, avez-vous ressenti des difficultés?
M.M.C.: Je ne veux pas être aveugle à ces difficultés, j’essaye toujours d’apprendre à les dépasser. Cependant, j’ai aussi eu beaucoup de chance. Je suis très souvent tombée sur beaucoup d’égalité et de soutien.
J’espère inspirer des femmes à poursuivre leur passion dans le droit international, mais aussi en général dans le milieu scientifique. Il faut oser. Les préjugés sont là pour se faire briser.
Quand je suis arrivée à Montréal, on m’a tout de suite dit que j’allais avoir beaucoup de difficultés, que le français n’était pas ma langue maternelle. J’ai étudié de manière assidue et j’ai refusé de me décourager parce que quelqu’un m’avait dit que je n’étais pas francophone et que je ne pouvais réussir.
Q.L.: Vous avez récemment été nommée à la Global Young Academy, une organisation prestigieuse qui rassemble de jeunes scientifiques du monde entier. Quelle importance revêt la science pour vous?
M.C.: Je suis devenue professeure pour transmettre la passion de la science, j’aime beaucoup l’échange avec les étudiants. C’est pour cette raison que j’ai postulé à une chaire de recherche, pour travailler avec des étudiants, non seulement les miens, mais aussi des stagiaires d’ailleurs. J’apprends avec eux [rires]!
L’occasion de travailler avec la nouvelle génération, des scientifiques qui vont changer le monde, c’est la meilleure partie de ma carrière. Partager notre passion, nos intérêts, c’est le meilleur impact que nous pouvons donner. Je trouve ça beau de pouvoir, peut-être, inspirer des personnes pour créer un changement, pour trouver des solutions dans le monde complexe dans lequel nous vivons actuellement.