Culture

Regard anglophone sur les premières années du FLQ

« Au départ, mon idée était de faire un livre sur la crise d’Octobre », explique Chris Oliveros. Quand il a commencé à effectuer des recherches sur les origines de cette crise des années 1960 et 1970, il confie avoir été « complètement surpris » par ce qu’il apprenait. « Je ne connaissais rien de tout cela, et la plupart des gens autour de moi ne connaissaient pas non plus cette période », avoue le bédéiste. Il ajoute que c’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à se concentrer sur la période où le FLQ a été créé. « La plupart des gens ne savaient pas que le FLQ avait été fondé par un Belge ! »

Le traducteur de la version française de la bande dessinée, Alexandre Fontaine Rousseau, précise que l’auteur « tenait à ce que le livre sorte simultanément en anglais et en français ».

Le titre français, Mourir pour la cause, vient d’un questionnaire auquel les nouvelles recrues devaient répondre afin d’intégrer les rangs felquistes. Le militant Gilles Rousseau, alors âgé de 18 ans seulement, l’avait rempli et avait ajouté, inopinément, qu’il savait fabriquer des bombes. Il avait été immédiatement recruté, et les bombes qu’il fabriquait terminaient toutes dans des boîtes aux lettres de Westmount.

Front de Libération du Québec
Le Front de libération du Québec (FLQ) était un mouvement militant pour l’indépendance du Québec, qui a utilisé le terrorisme pour tenter d’obtenir un Québec indépendant et socialiste.
Source : L’Encyclopédie canadienne

Malgré la sévérité des évènements représentés, les opérations du FLQ sont restées rudimentaires pendant ces années. Les séances de recrutement du collectif étaient, par exemple, menées au beau milieu d’un restaurant, à la vue du plus grand nombre.

« Comme les activités [du FLQ] étaient très maladroites — le recrutement de jeunes de 16 ans, la manipulation hasardeuse de bombes, la création d’un camp d’entraînement à la guérilla — j’avais peur que les gens pensent que je me moquais d’eux », avoue M. Oliveros.

La question de la langue

Même lorsque le projet n’était encore qu’au stade embryonnaire, M. Oliveros savait qu’une bande dessinée sur le FLQ écrite et dessinée par un montréalais anglophone en laisserait quelques un·e·s perplexes. « J’étais très conscient de ça et très nerveux au départ », admet-il.

S’il avait quelques inquiétudes lorsque la traduction lui a été proposée, M. Fontaine Rousseau admet que dès le début du livre,
« il est très clair […] que l’auteur est conscient de la situation dans laquelle se trouvaient les francophones à l’époque. »

Crise d’Octobre
La crise d’Octobre fait référence à une série d’événements qui se sont déroulés au Québec à l’automne 1970. Cette crise est le point culminant d’une longue série d’attentats terroristes perpétrés par le Front de libération du Québec (FLQ).
Source : L’Encyclopédie canadienne

L’auteur a maintes fois constaté qu’au Québec, les médias francophones tiennent souvent pour acquises la compréhension des événements liés au FLQ. « Lorsque ce livre est sorti, j’ai fait une tournée de dédicaces, non seulement ici à Montréal, mais aussi dans le reste du Canada », précise-t-il. Il ajoute que lors d’une présentation au cours de laquelle il expliquait la situation des francophones dans les années 1960, certains anglophones n’en avaient pas connaissance.

Pour cette raison, l’auteur a choisi de raconter les débuts du mouvement, une période au cours de laquelle le FLQ a fait preuve d’une certaine désorganisation. Par exemple, le camp d’entraînement établi par le militant François Schirm en 1964, n’avait que des réserves de nourriture pour trois semaines, tandis que le braquage d’une armurerie la même année avait causé la mort involontaire d’un innocent, Leslie McWilliams. « Une chose que je voulais faire, et j’espère que ça transparaîtra dans le livre, c’était de placer le contexte très près du début du FLQ pour expliquer à quel point c’était difficile au Québec pour les francophones dans les années 1960 », ajoute-t-il.

À ce titre, les premières pages de la bande dessinée illustrent le refus de Donald Gordon, alors président de la compagnie de chemin de fer Canadien National, de donner des promotions à ses employés canadiens-français le 20 novembre 1962. « Il nous paraît un peu particulier que vous soyez établis à Montréal et que presque aucun de vos dirigeants ne soit des Canadiens français », lance le politicien québécois Gilles Grégoire à Gordon. « On arrangera ça, quand on en trouvera qui ont du talent », lui répond alors ce dernier.

Rester fidèle à l’histoire

La force de Mourir pour la cause est de savoir quand et comment mettre en évidence le caractère tragique des événements et les conséquences qu’ils ont eues sur la vie des personnes impliquées. La dissolution du couple formé par l’un des fondateurs du FLQ Georges Schoeters, et sa femme Jeanne, est une scène particulièrement poignante.

Les représentations canadofrancophones du mouvement felquiste ont souvent été accusées de poser un regard trop peu critique sur ces événements traumatisants. Dans son article « Les Rose romanticizes FLQ terrorism » paru en 2020 dans The Gazette, la journaliste Lise Ravary (dont la famille était liée à Georges Schoeters) nommait ce phénomène le « whitewashing of the Front de libération du Québec » (blanchiment culturel du Front de libération du Québec).

« Je pense qu’en général, lorsque les gens se penchent sur les mouvements révolutionnaires de l’époque, il y a une nostalgie, une tendance à minimiser les mauvaises choses, la violence, et à éclairer les idéaux d’une lumière plus chaleureuse », estime l’auteur. Il ajoute ne pas avoir voulu de parti pris et avoir souhaité trouver un équilibre pour ne pas les faire passer pour des héros.

Pour trouver cet équilibre, M. Oliveros a donc effectué un travail de recherche colossal. L’auteur s’est vite rendu compte de la rareté de l’information relative aux premières années du FLQ. « Ce qui a été très utile, ce sont les autobiographies d’anciens membres, qui ont donné des témoignages de première main sur les événements », révèle-t-il.

Pour M. Fontaine Rousseau, ce dossier a été d’une grande importance. « Chris a effectué des recherches considérables, alors j’ai pu me baser sur le travail qu’il avait fait et revenir sur ses références au besoin, affirme le traducteur. Je pouvais me référer aux sources, qui étaient toutes clairement citées dans les notes qui se trouvent à la fin du livre. »

Le bédéiste prend cependant soin de relativiser les témoignages. À maintes reprises, la bande dessinée laisse entendre que la vérité historique n’est souvent qu’une question de perspective. « Les personnes qui ont été témoins d’un même événement le décriront de différentes manières, et il était important pour moi de saisir ces différents points de vue », explique-t-il.

La scène détaillant la rencontre entre Georges Schoeters et Fidel Castro, par exemple, est racontée de deux façons très différentes. « Je voulais montrer que je rapportais ce que Schoeters avait dit, donc je l’ai fait parler avec sa voix, mais les images dépeignent une version légèrement différente, souligne M. Oliveros. C’était ma façon de mettre en doute la connaissance que Castro et Schoeters avaient l’un de l’autre. »

Les dernières pages de la bande dessinée prennent la forme d’un dossier de recherche qui détaille ou explicite les événements mis en scène dans la trame narrative.

Pour lui, les personnages mis de l’avant dans Mourir pour la cause déjouent les partis pris de la population vis-à-vis du FLQ. « Plusieurs sont des immigrants, qui se reconnaissent d’une manière ou d’une autre dans l’expérience vécue par les francophones, précise-t-il. Et cette position “extérieure” ajoute quelque chose au livre, une nuance qui l’enrichit réellement. Ce n’est plus l’idée un peu monolithique que l’on se fait du FLQ. »

M. Oliveros travaille actuellement sur un second tome qui se concentrera sur la crise d’Octobre en soi. La traduction sera assurée, encore une fois, par M. Fontaine Rousseau.

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