« L’amour existe quand tu es capable de voir au-delà de tout. » Cette phrase de l’un des intervenants anonymes résonne particulièrement dans le documentaire, qui a obtenu le prix spécial du jury de la compétition nationale longs métrages aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), en 2023.
Tout au long du film, l’amour se révèle une force capable de traverser les frontières de la tradition. Sans filtre, les portraits des protagonistes, dont les prénoms ne sont pas révélés, mettent l’accent sur les luttes quotidiennes, les triomphes personnels et la résilience des personnes qui défient les normes sociales pour être elles-mêmes.
Aller à l’encontre de modèles familiaux hétéronormés peut s’avérer ardu pour la communauté 2SLGBTQIA+ du Vietnam. Par l’entremise de rencontres avec des familles du pays, le documentaire illustre la complexité des relations amoureuses et familiales dans une société où subsistent les traditions. « Le documentaire tourne autour du regard de la famille et [de la façon dont] il façonne qui nous sommes, explique le réalisateur Khoa Lê en entrevue avec Quartier Libre. Chacune des histoires est marquée par l’acceptation progressive par leurs proches. »
Dès les premiers instants, la caméra plonge le public dans l’intimité d’un jeune couple gai sur le point de se marier après sept années de vie commune. Le contraste entre l’excitation de l’un et la mélancolie de l’autre révèle les tensions et les espoirs qui habitent leur relation.
Une mosaïque de vécus
Ces récits personnels trouvent une résonance particulière dans le traitement cinématographique de M. Lê. Le réalisateur, qui a produit des vidéos allant de la publicité au court-métrage, offre un regard intime en révélant des capsules de vie fragmentées.
Il précise que son but était de laisser à l’auditoire la possibilité de se laisser porter par ses propres émotions. « Le film n’est pas là dans un dessein didactique, il montre le plus fidèlement l’histoire de toutes ces familles », affirme M. Lê.
La caméra devient ainsi le témoin silencieux de ces moments d’intensité émotionnelle. «?Toutes les personnes rencontrées sont devenues des amies, confie-t-il. Il était nécessaire pour moi d’être dans une approche de rencontre, j’ai appris à les connaître. » Le réalisateur ajoute qu’en se montrant réellement intéressé et ouvert, il a pu peindre un portrait fidèle à leur réalité et à la banalité de leur quotidien.
Le montage, subtil et évocateur, mélange les scènes des différentes histoires pour créer un récit poétique où la mélancolie côtoie l’espoir et où la tristesse se mêle à la joie.
La culture drag queen
Má Sài Gòn (Mère Saigon) brosse le portrait de la « mère » d’une troupe de drag queens et dévoile une famille unie par un désir d’expression et de libération. Le public les suit ainsi dans les coulisses de leurs spectacles et est invité dans un quotidien ponctué de rires, de création, de tenues hautes en couleur, de doutes et de moments d’introspection profonde. Au-delà des strass et des paillettes, le documentaire narre l’histoire d’une mère de remplacement qui dédie sa vie à recueillir les drag queens dans sa troupe.
« La première fois que j’ai vu une personne transgenre, c’était lors de la venue d’une troupe similaire dans mon village », témoigne l’une des drag queens. Cette représentation concrète de son identité et de sa communauté a marqué un tournant dans sa vie.
Selon un article du média Vice publié en 2019, au Vietnam, les cultures drag queen et transgenre se sont considérablement développées ces dernières années. Elle émerge progressivement sur scène, notamment grâce à des groupes tels que Lotto Group Troupe, qui proposent des spectacles combinant la tradition vietnamienne et les influences contemporaines de la culture 2SLGBTQIA+, afin de vendre des billets de loterie.
Le documentaire offre un réel moment d’amour lorsque la caméra s’attarde sur le regard ému d’une mère au cours de la représentation d’un drag show dans lequel joue son fils. « [Cela] montre l’influence essentielle de la perception d’une mère sur soi, explique M. Lê. On se construit en très grande partie à travers le regard de ses proches ». Má Sài Gòn constitue donc une odyssée au cœur de ces identités et des liens familiaux.