Aujourd’hui, Toyo Ito est l’un des architectes les plus reconnus à travers le globe ; c’est aussi l’une des raisons pour laquelle le CCA a accepté son offre « sans aucune hésitation », indique avec enthousiasme la directrice adjointe du Centre, Martien de Vletter.
Contacté par courriel, M. Ito, lauréat du prix Pritzker en 2013, affirme avoir « eu l’impression que le CCA était une institution solide et digne de confiance ».
Au total, les archives de 31 projets réalisés par son bureau entre 1972 et 1995 seront léguées à l’institution canadienne. En plus des dessins, des maquettes, des photographies, des collages, des croquis, des correspondances et même des cahiers de notes arriveront à Montréal en février prochain.
« Je pense qu’il est important pour lui que le monde puisse découvrir ses archives, explique Mme de Vletter. Elle ajoute que ce qui est difficile au Japon pour les chercheur·e·s étrangers·ères, est que toute l’information, les instruments de recherche et les descriptions sont seulement en japonais. « C’est donc un peu moins accessible qu’ici, où l’information est affichée en anglais. Ça nous permet de communiquer avec un plus grand public », souligne-t-elle.
L’exportation des archives japonaises vers l’Amérique du Nord n’est pas nouvelle. En 2011, les travaux de l’architecte Kenzo Tange, récipiendaire du prix Pritzker en 1987, ont été légués à l’Université Harvard. Trois ans plus tard, le CCA lui-même s’est vu confier les travaux de l’architecte Shoei Yoh.
La relation entre le CCA, un centre de recherche et de médiation culturelle basé à Montréal, et Toyo Ito n’est pas récente. Tous deux ont notamment collaboré lors de sa conférence Anyplace en 1994 et à l’occasion du partenariat canado-nippon CCA c/o Tokyo entre 2018 et 2020.
« Il est vrai que je me suis demandé si je devais laisser mes archives au Japon », concède M. Ito. Il explique que c’est « l’absence d’un musée d’architecture bien établi et d’installations adéquates pour stocker tout le matériel […] en raison de contraintes de budget, d’espace, de personnel » qui l’ont fait pencher pour le CCA.
En réaction au débordement de ses archives, le Japon a inauguré le National Archives of Modern Architecture en 2012, dont l’objectif est de préserver et d’entretenir les documents d’archives japonais importants, et ce, dans une perspective d’éducation.
Un architecte visionnaire et engagé
Toyo Ito est né à Séoul en 1941, lorsque la Corée était encore sous occupation japonaise. Il a commencé sa carrière dans les années 1970, époque durant laquelle les jeunes architectes japonais·es prenaient de gros risques professionnels en concevant des édifices expérimentaux.
À trente ans, il a fondé sa propre entreprise, Urban Robot, qu’il renommera Toyo Ito & Associates quelques années plus tard. Ses premières créations ont été des résidences privées à l’apparence marginale et à fort caractère conceptuel.
Parmi celles-ci, la maison White U (1976), qu’il a conçue pour sa sœur nouvellement veuve, est l’une des plus connues. En forme de « U », cette maison blanche se compose d’un long corridor courbé, dont les extrémités se composent de deux chambres. Les murs extérieurs ne comportent aucune fenêtre, permettant à la famille de s’isoler pendant la période du deuil.
La professeure adjointe en architecture et études urbaines à l’UdeM Alice Covatta explique qu’au fil des années, M. Ito a « vécu plusieurs phases architecturales différentes, d’abord avec le métabolisme [un mouvement s’inspirant de la biologie pour créer d’énormes infrastructures] puis, plus récemment, avec ses édifices conçus pour venir en aide aux victimes du séisme de Tokyo. »
En 2011, après le séisme de Tohoku et le tsunami qui ont ravagé le nord-est du Japon. M. Ito a alors mis sur pied le projet Home-for-All. L’initiative encourage d’autres architectes à construire des abris communautaires pour venir en aide aux milliers de personnes laissées sans domicile.
Un rayonnement international
« Le Centre canadien d’architecture est peut- être la plus grande institution internationale en termes d’archivage et de recherche en architecture », avance Mme Covatta. Son objectif est de rendre accessibles les archives tout en les confrontant à des enjeux contemporains, en plus de faire dialoguer les différentes œuvres de sa collection entre elles.
Mme de Vletter souligne à grands traits le caractère unique du Centre. « Nous savons que l’architecture touche à de nombreuses questions sociales et sociétales, et nous voulons les aborder sous différentes perspectives », affirme-t-elle.
Si le CCA a accepté presque immédiatement d’héberger les archives de M. Ito, c’est parce que ces dernières abondent de thématiques très actuelles. Dans ses dessins et ses écrits, l’architecte japonais examine minutieusement des enjeux liés à la technologie, à l’écologie et au consumérisme.
Dans une entrevue accordée au CCA, l’architecte Koji Ichikawa attribue le caractère unique des édifices de M. Ito à leur souci de l’expérience qu’en feront les résident·e·s. Selon lui, il a su répondre au besoin des utilisateur·rice·s par la conception du bâtiment.
« J’ai reçu beaucoup de requêtes d’architectes japonais et de chercheurs, demandant s’il était possible de conserver ces archives au Japon, a déclaré M. Ito par voie de communiqué de presse du CCA le 6 décembre dernier. Néanmoins, j’ai la certitude que le CCA offre une accessibilité sans précédent pour que de futurs chercheurs de partout sur la planète puissent étudier mon travail. »
Répondre à des enjeux contemporains
Encore aujourd’hui, les étudiant·e·s consultent fréquemment les archives pour trouver des solutions inexplorées à des problématiques actuelles. À la Faculté de l’aménagement de l’UdeM, Mme Covatta organise présentement un atelier sur la médiathèque comme structure sociale. Les étudiant·e·s ont la chance d’y étudier, grâce à la recherche archivistique, la Médiathèque de Sendai, une œuvre phare du répertoire de M. Ito.
Plus tard cette année, le CCA organisera sa Charette interuniversitaire annuelle. Au cours de cette compétition intensive en architecture et design, les élèves n’auront que quelques jours pour concevoir une œuvre en lien avec une thématique contemporaine imposée. Dans un tel contexte, l’accès aux archives est primordial.
Selon Mme Covatta, « c’est [le travail des] chercheurs de s’inspirer de l’architecture pour répondre à des problèmes contemporains ». Après avoir vécu au Japon pendant cinq ans, elle s’intéresse aujourd’hui au phénomène de densification urbaine. « Les villes japonaises souvent très peuplées sont des cas de figure essentiels à ma recherche, que l’archivage me permet d’aller chercher », ajoute-t-elle. De son côté, le CCA envisage la possibilité de monter une exposition avec les archives de l’architecte. Par le biais d’institutions médiatrices comme le CCA, les archives « ouvrent l’architecture au grand public, et pas seulement aux chercheurs », soutient Mme Covatta.
En plus des 31 œuvres qu’il léguera au CCA à partir de février, M. Ito a affiché sa volonté d’y léguer le reste de ses créations au fil du temps.
LE PRIX D’ARCHITECTURE PRITZKER est une récompense internationale décernée chaque année à un architecte vivant pour sa contribution dans ce domaine. Il est souvent considéré comme l’équivalent du prix Nobel pour la profession. Source : encyclopédie Universalis |