Tout le monde en parle, personne ne va le voir. Nous étions quatorze dans la salle – j’ai compté –, le jour de la sortie du film. Ce vide a fait naître un lourd silence d’avant-projection, un malaise invivable s’était ainsi installé. Cette ambiance, habituellement peu adaptée au visionnement d’un film, s’est avérée étrangement propice au dernier film de Denis Côté.
Curling, c’est la non-histoire de la famille Sauvageau. Le père, Jean-François (Emmanuel Bilodeau), est un de ces types réservés qui n’aime pas être le centre d’attention. Julyvonne (Philomène Bilodeau) est une jeune fille qui aimerait jouer avec des jeunes de son âge, mais son père ne le lui permet pas. D’ailleurs, il ne veut pas qu’elle aille à l’école non plus. Jusqu’à là, rien de drôle, il faut le dire.
Denis Côté signe un drame psychologique aux thèmes lourds qui se cadre spécifiquement sur une famille des plus particulières – dans sa banale humilité, tout de même. Drame, par son traitement, ce qui ne supprime aucunement l’attention privilégiée attribuée au rire. Il faut toutefois savoir que ce rire n’est pas innocent ou à gorge déployée. Il ne s’agit pas non plus d’un rire en canne ! C’est plutôt un de ces rires nerveux, issus de ces rares moments où le fossé entre ce qui est permis et ce qui est interdit génère une tension insupportable. Ainsi, on se surprendra à rire dans une scène où le personnage découvre une chambre pleine de sang au motel où il travaille : «Est-ce qu’il faut que j’appelle la police ?», demandera-t-il. Des rires étouffés se font entendre dans la salle. On se tait immédiatement : il ne fallait peut-être pas rire, qui sait ? Bref, c’est un de ces rires douloureux qui nous poignarde les côtes. On s’en sent coupable et on se questionne sur la moralité même de notre perception du malheur des autres. Et si vous jugez que cela n’est pas un rire qui en vaut la peine, je me demande bien à quel type de blague vous riez.
Portrait d’une région lointaine où la neige réduit le champ de vision à deux mètres devant soi, ce délicat bijou n’a ni histoire, ni rebondissements. C’est une esquisse trouble – et troublante – d’un homme qui a peur et d’une Julyvonne qui doit en subir les conséquences. Par ses pistes et énigmes, Denis Côté en fait un long-métrage prenant, riche en endroits poussiéreux, qu’il nous propose de visiter. Sans en faire l’éloge ou la vente, Curling demeure une oeuvre accessible et plaisante qui s’inscrit dans le spectre boudé du cinéma d’auteur québécois. C’est une fresque grisante pour ceux qui ont un malin plaisir à rire, alors qu’on demande le silence.
Le rire est satanique, il est donc profondément humain – Charles Baudelaire
L’auteur est cofondateur, éditeur et rédacteur de Regards, revue de cinéma en ligne pour étudiants et jeunes cinéphiles. regardscinema.com