Société

Lanaudière, désert universitaire ?

« Nous faisons de notre mieux pour accommoder les milieux, mais on évite de donner des formations qui nous causent des déficits budgétaires », explique par voie de courriel la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara. Un minimum de 25 inscriptions est ainsi exigé pour ouvrir une cohorte en dehors de la métropole montréalaise.

À Repentigny, l’UdeM ne dispose pas d’un campus à proprement parler, comme c’est le cas à Laval ou à Brossard. Les cours sont plutôt offerts depuis les locaux du Cégep de Lanaudière, souvent en location, et relèvent d’un seul programme : celui de DESS en leadership et gestion des établissements scolaires.

Si l’UdeM offre précisément ce programme, c’est pour répondre aux besoins en personnel des centres de services scolaires locaux de la région de Lanaudière. « Ce DESS a été mis sur pied pour des professeurs et des bacheliers, qui veulent se former pour devenir directeur ou occuper tout autre poste de gestion dans une école », indique Mme O’Meara.

Le DESS est alors principalement destiné aux membres du personnel de ces centres de services, qui recueillent les inscriptions et forment les cohortes. Cette année, près d’une douzaine d’inscriptions ont abouti dans Lanaudière.

Pour pouvoir poursuivre leur formation, les étudiant ·e·s doivent alors se déplacer au campus de Laval, qui donne aussi des cours obligatoires du DESS, à près de 40 km de distance.

« Nous continuons de travailler avec les partenaires pour dynamiser la région et espérons avoir assez d’inscriptions l’an prochain pour offrir une cohorte du programme dans Lanaudière », ajoute Mme O’Meara.

Des centres régionaux de coordination éducative existent partout au Québec pour structurer l’offre universitaire de plusieurs établissements dans une région.

Le Centre régional universitaire de Lanaudière (CRUL) voit le jour en 2015 pour remédier au taux de diplomation de la région, l’un des plus bas du Québec. Il a noué des partenariats avec l’UdeM, l’UQAM et l’UQTR, mais son avenir est désormais incertain.

Béton ou distance

« L’accessibilité à des programmes de formation universitaire dans la région de Lanaudière est un engagement de notre gouvernement, exprime par voie de courriel le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry. Pour bonifier l’offre, nous souhaitons miser davantage sur l’utilisation de locaux existants plutôt que d’investir dans le béton. »

Cette orientation n’a pourtant pas empêché le CRUL de lancer un appel d’offres en août 2022, pour décider du lieu de construction d’un futur campus universitaire dans Lanaudière. Si la Ville de Terrebonne a remporté la sélection, le dossier a divisé les municipalités.

La directrice adjointe au cabinet du maire de Repentigny, Sofia Benzakour, relate que la Ville a été surprise de voir le CRUL « faire cavalier seul », alors que l’appel d’offres n’aurait pas reçu l’aval du ministère de l’Enseignement supérieur. « Ça nous a mis mal à l’aise », avoue-t-elle.

Repentigny a soumis sa candidature à l’appel d’offres avant de la retirer. « On a vu que la Ville de Terrebonne avait déjà un plan de conception et d’aménagement, des investisseurs et des discussions avec l’UQTR », décrit Mme Benzakour.

Le maire de Joliette, Pierre-Luc Bellerose, qualifie même le processus d’appel de « bidon ». « Le CRUL est un organisme consultatif et n’a aucune légitimité », explique celui qui a été directeur général du centre, de 2018 à 2022.

 

Les anciens locaux de l’UdeM à Terrebonne, dont le bail de location a pris fin en 2014, sans renouvellement d’entente. Le DESS en leadership et gestion des établissements scolaires est le seul programme offert à l’UdeM dans le secteur de Lanaudière. – Photo courtoisie : Centre la Croisée

 

Quant à Joliette, c’est un promoteur privé qui a présenté une proposition, non la Ville. M. Bellerose évoque qu’il « était impossible » pour une municipalité de déposer un projet aussi étoffé que la proposition terrebonnienne « en si peu de temps ». Le CRUL a officiellement lancé l’appel le 24 août 2022. Son échéancier était fixé au 4 octobre de la même année.

La pertinence du projet d’un tel campus était aussi remise en question. « Si on décide d’avoir un campus à Terrebonne, ça va cannibaliser l’offre universitaire, avance Mme Benzakour. Les gens iront à Terrebonne pour faire leurs études, alors qu’on veut qu’ils restent dans leurs villes. »

La municipalité opte plutôt pour une « antenne universitaire », qui utilise les infrastructures existantes et offre des cours en présentiel et à distance. À la mi-novembre, le maire repentignois, Nicolas Dufour, a annoncé que l’UQAM implantera une telle antenne, axée sur la formation en technologies d’expérience client.

Le CRUL est voué à se greffer à une autre instance de concertation du secteur lanaudois, soient l’initiative Éducation Lanaudière ou le Pôle lanaudois en enseignement supérieur. « Le CRUL avait un travail à faire, et le travail a été fait, avance M. Bellerose. Maintenant, on en est à une autre étape. »

Le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur mentionne à ce sujet que « des travaux sont en cours afin de mettre sur pied un nouveau modèle de coordination », pour « mieux répondre aux besoins en matière de formation de la main-d’oeuvre ». Une annonce suivra prochainement.

En ce qui a trait au campus de Terrebonne et à son avenir à la vue du changement de statut du CRUL, « le dossier est présentement en analyse » et « des discussions sont en cours avec les différentes parties prenantes. »

Par voie de courriel, le CRUL a répliqué ne pas pouvoir répondre aux questions de Quartier Libre, citant être « en processus de réflexion stratégique ». La Ville de Terrebonne n’a, quant à elle, pas fourni un retour dans les délais de publication de l’article.

Coopérer et concourir

Le sociologue de l’éducation et professeur associé à l’UQAM Pierre Doray explique que dès les années 1960, au moment de la création du réseau de l’Université du Québec (UQ), les établissements « ont commencé à se dire que l’université devait aller vers les étudiants et non le contraire ». Ainsi, plutôt que de faire déplacer 30 ou 40 personnes, c’est l’enseignant·e qui le fait.

« Les universités se partageaient les mêmes endroits, précise M. Doray. C’est dire qu’il y a avait un minimum de collaboration, ne serait-ce que parce qu’on louait les mêmes édifices. » Cégeps, locaux de bureaux, centres d’études : toutes les infrastructures sont viables pour tenter d’allier offre financièrement viable de cours et bassin plutôt restreint d’élèves.

Les formations sont offertes en fonction des demandes de main-d’oeuvre dans des domaines précis. « L’UdeM a été la première à décentraliser la formation dans une région mal desservie en médecins », décrit Mme O’Meara au sujet du campus de la Mauricie, qui célébrera sa dixième année d’existence en 2024.

Alors que le financement public des universités a diminué, la collaboration pour desservir les régions n’est pas sans s’accompagner d’une certaine concurrence entre les universités dans une « chasse à la clientèle », selon M. Doray.

« La course à la clientèle, c’est l’Université Laval qui s’installe en face de McGill pour donner des cours en administration, pour aller chercher les cadres qui travaillent au centre-ville, qui souhaitent perfectionner leur formation professionnelle », illustre-t-il.

Quels sont les effets de cette concurrence entre universités ? Pour le sociologue, l’enjeu est qu’une coordination entre établissements reste nécessaire pour répondre aux réels besoins des régions. « Quand plusieurs campus secondaires [ouvrent dans une région], cela donne une plus grande variété de cursus, nuance-t-il. Ça renforce l’accès à l’éducation. »

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